Le modele français de cassation a l'epreuve de la jurisprudence penale de la chambre criminelle (1811-1863)

AutorClaire Bougle-Le Roux
Páginas327-345
LE MODELE FRANÇAIS DE CASSATION A
L’EPREUVE DE LA JURISPRUDENCE PENALE
DE LA CHAMBRE CRIMINELLE (1811-1863)
CLAIRE BOUGLE-LE ROUX
Le 5 janvier 1848, l’artiste Honoré Daumier publie une caricature, en
pleine page du Charivari, sous la légende : « Encore perdu en Cour royale, et il se
lamente comme s’il ne lui restait pas encore la Cour de cassation »1. Extraite d’une série
fameuse de 38 lithographies que l’artiste consacre aux gens de justice2, la litho-
graphie souligne la démocratisation d’un recours présenté ici comme un troi-
sième degré de juridiction, alors même que, depuis ses théoriciens du 18ème
siècle Gilbert de Voisins et Joly de Fleury3, la cassation est considérée, non
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Cette communication reprend un certain nombre de conclusions émises dans un colloque
à la Cour de cassation à Paris le 26 nove mbre 2021 et publiée sous la forme d’un article dans
« La fabrique des grands arrêts à l’épreuve du premier big data », Deux siècles de jurisprudence, La
Cour de cassation au service du droit et du justiciable, sous la dir. J. Barthélémy, P. Galanopoulos et X.
Prétot, Paris, 2022, p. 27-92. Que soient ici remerciés les historiens du droit de l’université de la
Complutense de Madrid pour leur invitation.
1 C’est nous qui soulignons. BnF, Estampes et photographie, Rés. Dc-180j (tome XVI), pu-
bliée dans l’album Les Gens de Justice, 1845-1846, lithographie sur blanc, 19,2 x 23,3 cm, signée en
bas à gauche h.D., planche 34.
2 Sur l’œuvre d’Honoré Daumier consacrée aux juristes, on se reportera au catalogue d’ex-
position Daumier, 1808-1879, Réunion de s Musées nationaux, 1999 , et particulièrement aux pp.
216-221, 330-331, 362-375, 436-451.
3 Sur ces aspects renvoyons à ANTOINE, Michel, « Le mémoire de Gilbert de Voisins sur les
cassations. Un épisode des querelles entre Louis XV et les parlements (1767) », Revue historique de
droit français et étranger, 1958, pp. 1-33, MARTINAGE-BARANGER, Renée, « Les idées sur la cassation
Claire Bouglé-Le Roux
comme une voie de droit ouverte aux justiciables mais seulement comme une
voie de puissance aménagée en faveur du roi en cas de manquement des premiers
juges. Dix ans à peine après l’adoption de la loi du 1er avril 18374, le dessin pointe
la primauté incontournable de la jurisprudence de la Cour, rendant ainsi compte
de la verticalité désormais acquise par la haute juridiction.
Originale, l’œuvre offre un décalage saisissant entre le dessin, touchant à
l’universel du théâtre de la justice, et sa légende, ciblant une question pointue du
répertoire des rapports institutionnels. Aussi tranche-t-elle dans la production
classique du maître5. La caricature constituée d’un couple central formé de deux
avocats, unis par un regard de connivence, aux côtés de plaideurs chagrins, puise
à première vue dans le fond des moqueries faciles à l’endroit du monde judi-
ciaire ; mais cette platitude du motif porte précisément à se tourner vers la lé-
gende6, en quête d’un supplément d’information. Qu’elle soit ou non le fait de
Daumier7, elle détonne ici, le terme cassation portant notre imaginaire à la repré-
sentation des juges sous leurs lourdes robes d’hermines colorées, écrasant justi-
ciables et hommes de lois, réduits ici au contraste du sombre et du clair de la
pierre lithographique8.
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au XVIIIème siècle », Revue historique de droit français et étranger, 1969, 244-290 et GODIN, Xavier,
« La procédure de cassation au XVIIIème siècle », Histoire économie et société, 2010 pp. 19-36.
4 Loi du 1er a vril 1837, relative à l’autorité des arrêts rendus par la Cour de cassation après
deux pourvois, in DUVERGIER, Jean Baptiste, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlemens
et avis du Conseil d’État, depuis 1788, par ordre chronologique, Paris, t. 37, pp. 83-89.
5 Sur l’œuvre d’Honoré Daumie r consacrée aux juristes, on se reportera au catalogue d’ex-
position Daumier, 1808-1879, Réu nion des Musées nationaux, 1999, et particulièrement aux pp.
216-221, 330-331, 362-375, 436-451.
6 Charles BAUDELAIRE souligne là aussi qu’en règle générale Daumier « va droit au but.
L’idée se dégage d’emblée. On regarde, on a compris. Les légendes qu’on écrit au bas de ses
dessins ne servent pas à grand’chose, car ils pourraient généralement s’en passer », in Critique
d’art, Paris, 1992, p. 217.
7 Sachant q u’il lui arrivait d ’adresser de s caricatures à la rédaction du journal. Nous ren-
voyons sur cet a spect au chapitre qu’y consacre Jean LE FOYER, auteur de Daumier au Palais de
justice, La Colombe, Paris, p. 46-56, qui insiste sur l’apport de son entourage à la confection des
légendes. COSTA COLAJANNI, Giuliana, in « Satire imagée et légende de l’image dans Le Charivari
de 1867 », in La caricature entre République et censure, L’imagerie sa tirique en France de 1830 à 1880 : un
discours de résistance ?, (s.d.) P. Régnier, R. Rütten, R. Jung, et G. Schneider, Lyon, 1 996, pp. 345-
356, propose une typologie des légendes, distinguan t entre devinette, dialogue entre les person-
nages de la caricature, description ou titre dont il convient de découvrir la relation avec le dessin,
catégorie dans laquelle il est possible de ranger la légende de la planche 34.
8 Rappelons cette réflexion de BAUDELAIRE dans un article qu’il publie en 1857, à propos
de Daumier : « Ce qui complète le caractère remarquable de Daumier, et en fait un artiste spécial
appartenant à l’illustre famille des maîtres, c’est que son dessin est naturellement coloré. Ses litho-
graphies et ses dessins sur bois éveillent des idées de couleur. Son crayon c ontient autre chose
que du noir bon à délimiter les c ontours. Il fait deviner la couleur par la pensée […] », in
« Quelques caricaturistes français », Critique d’art, Paris, 1992, p. 216.
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