Droits de propriété des femmes au Maghreb: une approche d'économie politique

AutorFatiha Talahite
Cargo del AutorCNRS-Paris
Páginas151-175
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Droits de propriété des femmes
au Maghreb: une approche
d’économie politique
FATIHA TALAHITE
CNRS-París
1. L’ÉGALITÉ DE GENRE DES DROITS DE PROPRIÉTÉ
On peut situer l’intérêt pour les droits de propriété des femmes
au plan international1 avec la Convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes2, qui
reconnaît «les mêmes droits à chacun des époux en matière de pro-
1 La Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) faisait de la pro-
priété, avec la liberté, la sûreté, et la résistance à l’oppression, un des «droits na-
turels et imprescriptibles de l’Homme» (Art. 2). Cependant, bien que le concept
abstrait d’Homme était censé inclure la femme, de nombreux pays ne recon-
naissaient pas à celle-ci, notamment à l’épouse, les mêmes droits à la propriété
qu’à l’homme.
2 La Cedaw (Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination
Against Women) a été adoptée en 1979 par l’Assemblée générale des Nations
unies, dans la lignée de l’année internationale des femmes (1975). Entrée en
vigueur en tant que traité international en 1981 après sa ratification par 20 pays,
elle a été ratifiée à ce jour par 179 pays sur 185. Les États-Unis l’ont signée en
1980 mais ne l’ont toujours pas ratifiée. Le dernier État à l’avoir fait est le Qatar
(2009). Les membres de l’Onu n’y ayant pas adhéré sont le Vatican, l’Iran, la
Somalie, le Soudan et les îles Tonga.
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priété, d’acquisition, de gestion, d’administration, de jouissance et de
disposition des biens, tant à titre gratuit qu’à titre onéreux» (article
16). La Tunisie a été parmi le premier pays à la signer, en 1980, et
l’a ratifiée en 1985 (1993 pour le Maroc, 1996 l’Algérie). Chaque
pays pouvait émettre des réserves. La Tunisie a émis une réserve
générale plaçant la Constitution3 au-dessus de la Convention.
Les réserves émises par les deux autres concernent les mêmes
articles (2;15 §4; 29) mais pas avec les mêmes arguments: là où le
Maroc invoque la Charia, l’Algérie se contente du code de la fa-
mille. Les deux mobilisent l’argument nationaliste contre l’article
sur la nationalité (réserve levée en 2009 par l’Algérie). En 2011, le
gouvernement marocain lève l’ensemble des réserves et ratifie
le Protocole facultatif à la convention, permettant aux femmes
victimes de violations de leurs droits de porter plainte devant
une instance internationale (adopté en 2015 par la chambre des
représentants). En Tunisie, cette date est le début d’un processus
qui débouche en 2014 sur une nouvelle Constitution.
La Conférence mondiale de Copenhague (1980) préconisait
des «mesures nationales plus fortes visant à garantir aux femmes
la propriété et le contrôle de leurs biens et à améliorer la sauve-
garde de leurs droits en matière d’héritage, de garde d’enfants
et de nationalité». La Déclaration de Nairobi (1985) n’évoque les
droits de propriété que deux fois, à propos de la réforme agraire
et dans un article spécifique sur les droits de la femme mariée.
Dix ans après, la plate-forme de Pékin4 les cite 9 fois. Outre la pro-
3 En introduction: «La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain,
l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime».
4 «Faire en sorte que les processus nationaux de réforme administrative et
législative, y compris ceux en matière de propriété foncière, de décentralisation
et de réorientation de l’économie, aient pour effet de promouvoir les droits des
femmes, en particulier ceux des femmes rurales et des femmes vivant dans la
pauvreté, et prendre des mesures visant à promouvoir et à appliquer ces droits
en donnant aux femmes un accès égal aux ressources économiques et en leur
conférant le contrôle de ces ressources, pour ce qui est notamment des biens
fonciers, des droits de propriété, du droit d’hériter, du crédit et des systèmes

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