Les espaces juridiques du travail maritime

AutorPatrick Chaumette
Cargo del AutorProfesseur à l'Université de Nantes, Centre de Droit Maritime et Océanique EA 1165
Páginas15-52

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Ver nota 1

La mer (Charles Trenet)

La mer Qu’on voit danser le long des golfes clairs

À des reflets d’argent

La mer Des reflets changeants

Sous la pluie

La chanson La mer de Charles Trenet est très poétique; elle est aussi très littorale et côtière, «le long des golfes clairs». Le poète ne distingue pas les eaux intérieures de la mer territoriale; il ignore la diversité du statut juridique des espaces marins.

La notion de mer territoriale est très ancienne, passant de 3 milles marins à 12. La haute mer n’appartient à personne et ne relève d’aucun Etat. Comme le marin est destiné à naviguer, à arriver à bon port, et nullement à rester au port, s’ouvrent rapidement des questions de dimension internationale des activités maritimes et du travail des gens de mer. Le président Jean-Pierre Laborde n’a pas eu le temps d’investiguer ces aspects2. Cependant, il n’en est nullement totalement ignorant.

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L’expression, nationalité du navire, pour être très couramment employée, ne va pas de soi

3. L’article 91 de la Convention de Montego Bay, des Nations Unies sur le droit de la mer, du 10 décembre 1982, est intitulé «Nationalité des navires», énonce que «chaque Etat fixe les conditions auxquelles il soumet l’attribution de sa nationalité aux navires». La convention précise que les navires possèdent la nationalité de l’Etat dont ils sont autorisés à battre le pavillon. Même si l’on admet une nationalité des personnes morales, le président Jean-Pierre Laborde a tout à fait raison de dire que l’expression de nationalité du navire ne peut en rien, être prise à la lettre. La nationalité ne peut être attribuée qu’aux sujets de droit, aux personnes. Antoine VIALARD, lui-même, envisageait une sorte de nationalité pour le navire immatriculé4, considé-rant que la francisation du navire est une véritable naturalisation5. La nationalité du navire n’est qu’un fantôme de nationalité, mais comme bien des fantômes, cette expression éclaire l’esprit de la nationalité, qui est un don et une exigence. La morale de la démonstration est triste, «A sa façon, le droit maritime montre, en quelque sorte en creux ou par l’absurde, qu’il ne peut y avoir de nationalité de complaisance».

Les gens de mer, marins ou non marins, travaillent à bord d’un navire. Les rattachements de la relation de travail internationale à des ordres juridiques nationaux peuvent-ils être fictifs, complaisants, quand les Etats dont les gens de mer sont les ressortissants se préoccupent des devises revenant au pays, mais fort peu de la protection de leurs ressortissants nationaux. La convention du travail maritime de l’OIT, adoptée en 2006, innove dans son titre V en évoquant enfin les Etats fournisseurs de main d’œuvre (Règle 5.3) 6. Il s’agit «d’assurer que tout Membre s’acquitte des responsabilités qui lui incombent en vertu de la présente convention en ce qui concerne le recrutement et le placement des gens de mer ainsi que leur protection sociale». Cela concerne les gens de mer qui sont ses nationaux, ou des résidents ou personnes

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domiciliées sur son territoire. Un système efficace d’inspection et de surveillance doit être mis en place (Norme A5.3). Les services privés de recrutement et de placement des gens de mer établis sur le territoire du Membre et fournissant les services d’un marin à un armateur, où qu’ils se trouvent, devraient être tenus de s’engager à veiller au respect par l’armateur des termes des contrats d’engagement maritime conclus avec les gens de mer (Principe directeur B5.3 - Responsabilité du fournisseur de main d’œuvre).

Lors du même colloque bordelais en l’honneur du professeur Antoine Vialard, nous nous demandions si les marins étaient encore à bord7.

Les gens de mer travaillent à bord d’un navire, par principe. Selon l’article II-f de la convention du travail maritime de l’OIT, «gens de mer ou marin désigne les personnes employées ou engagées ou travaillant à quelque titre que ce soit à bord d’un navire auquel la présente convention s’applique». Les marins sont-ils du bord quand la triangulation de la relation de travail s’installe? Sont-ils à bord quand la loi de l’Etat du pavillon n’est plus tout à fait la loi commune du bord, compte tenu de la diversité des dispositions contractuelles? Le Conseil constitutionnel a considéré le 28 avril 2005 que le centre effectif des intérêts du marin se situait à son lieu de résidence, ce qui permettait des différenciations de traitement, notamment en matière de protection sociale, mais aussi en matière de salaire minimum, de contrat d’engagement maritime, voire de durée du travail et de repos8. Le marin se trouve ainsi rattaché, ou écartelé, entre le navire et sa résidence; il est aussi parfois rattaché au port d’exploitation réel du navire, qui semble constituer son lieu habituel de travail. Il faut s’efforcer d’expliquer ces rattachements multiples ou cet écartèlement de la relation de travail maritime9. Ce n’est pas seulement la protection des gens de mer qui se joue là, mais aussi les contraintes sociales imposées aux opérateurs économiques, donc les règles de la concurrence loyale.

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Tout découle des principes de liberté des mers, liberté du commerce maritime et liberté de la navigation, puis des moyens techniques d’aller en mer10. Juridiquement il existe un océan unique, englobant de nombreuses mers semi-fermées, communiquant entre elles. Si la haute mer est libre, l’Etat riverain dispose d’une souveraineté sur ses eaux territoriales et ses eaux intérieures. Les Etats prolongent en mer leurs territoires, à des espaces marins sous leur souveraineté; les eaux intérieures et les eaux territoriales constituent le «meritoire» des Etats. La notion de mer territoriale, sous souveraineté des Etats côtiers, semble physiquement ambiguë, puisque la fluidité de l’océan ne permet pas aisément son occupation11. Les droits et obligations, reconnus aux Etats, sur leur zone économique et le plateau continental ne relève pas d’une logique territoriale, mais de droits souverains liés aux intérêts de sa population et ceux de la communauté internationale dans son ensemble; ses attributions sont fonctionnelles12. Selon l’article 121 § 3 de la convention de Montego Bay, «Les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre, n’ont pas de zone économique exclusive, ni de plateau continental». Le droit international récent a évolué vers un «zonage» des espaces marins, dotés de régimes juridiques différents. Les droits fonctionnels, souverains, des Etats interviennent dans le cadre de la liberté de navigation, de la préservation de l’accès aux routes maritimes, de la prévention des pollutions marines, permettent le renouvellement des ressources halieutiques13. Il existe donc aussi des obligations fonctionnelles imposées aux Etats par le droit international. L’espace océanique, dans son ensemble, est largement voué à la navigation, donc à une liberté essen-tielle, fondement du jus communicationis ancien; Le droit océanique est imprégné d’une «gouvernance», ainsi que le souhaitait Mme Gro Harlem Brundtland, ancienne ministre norvégienne, en 198714.

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L’internationalité est la caractéristique et la principale justification des spécificités du droit maritime15. La haute mer ne relevant de la juridiction d’aucun Etat, le navire est rattaché à un ordre juridique étatique par l’intermédiaire de son immatriculation dans l’Etat qui lui octroie son pavillon. En haute mer, la juridiction de l’Etat du pavillon n’est pas exclusive, mais presque16. L’article 97 de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer donne compétence à l’État du pavillon, en cas d’abordage en haute mer, afin de réprimer les violations des règles de navigation. L’État dont le marin fautif est le ressortissant est également susceptible d’intervenir, ce que prévoit également l’article 3 de la convention de Bruxelles de 1952 relative à la compétence pénale en matière d’abordage. La mer est fondamentalement libre quant à la navigation. La liberté en haute mer nécessite une continuité côtière: le navire quitte un port pour arriver à bon port. La liberté de navigation s’impose donc en mer territoriale. Les Etats doivent rendre compatibles les routes maritimes avec les activités développées en mer, avec les réglementations étatiques17.

1. Du navire et de l’etat du pavillon du navire

Chaque Etat détermine les conditions dans lesquelles il octroie son pavillon à un navire et donc détermine les conditions d’immatriculation. Selon l’article 91 de la Convention de Montego Bay, il doit exister un lien substantiel entre l’Etat et le navire. En principe, l’Etat du pavillon exerce sa juridiction sur tout navire battant son pavillon et son équipage, prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité en mer, notamment quant à la composition et aux conditions de travail de l’équipage (art. 94)18. Cet équipage doit être en nombre et en qualité suffisante, selon notamment la convention SOLAS de l’Organisation Maritime Internationale.

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Dès lors, en principe la loi de l’Etat du pavillon est la loi commune à bord19. Cela est particulièrement vrai en matière de discipline, mais...

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