Les décisions de la Cour Suprême du Canada dans les affaires Solski/Casimir et Gosselin

AutorJosé Woehrling
CargoProfesseur titulaire de droit public, Université de Montréal
Páginas164-184

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Les décisions de la Cour suprême du Canada1 dans les affaires en cause portent sur des attaques dirigées contre les articles de la Charte de la langue française (ou Loi 101)2 régissant l’admissibilité à l’enseignement en langue anglaise. Le but recherché était de faire invalider certaines de ces dispositions comme incompatibles, soit avec la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte canadienne),3 soit avec la Charte des droits et libertés de laPage 165 personne (la Charte québécoise),4 et d’obtenir ainsi un élargissement des règles d’admissibilité à l’enseignement en anglais.

I La décision dans l’affaire Gosselin

Dans l’affaire Gosselin,5 dans laquelle la contestation était fondée sur la Charte québécoise, le but recherché par les requérants, membres de la majorité francophone du Québec, était d’obtenir le droit au libre choix entre l’école anglophone et l’école francophone en faisant dire aux tribunaux que les dispositions limitant l’accès à l’école anglophone en fonction du dossier scolaire des parents ou des enfants entraînaient une discrimination contraire aux dispositions de la Charte québécoise.

La raison pour laquelle la Charte québécoise, plutôt que la Charte canadienne, était invoquée est que la Charte canadienne elle-même contient à son article 23 des dispositions qui confèrent le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité (donc à l’enseignement en anglais au Québec) non pas à tous les parents, mais seulement aux parents ayant eux-mêmes reçu leur enseignement en anglais ou dont un enfant reçoit ou a reçu son enseignement en anglais au Canada. Il n’était donc pas possible de prétendre que le droit à l’égalité prévu dans l’article 15 de la Charte canadienne avait pour effet de contredire les distinctions contenues dans l’article 23 de la même Charte. Par contre, il était théoriquement possible de prétendre que les distinctions en cause, reprises de la Charte canadienne dans l’article 73 de la Loi 101, était contraires à l’article 10 de la Charte québécoise.

Cependant, la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec ont l’une et l’autre jugé que des distinctions reprises dans la Loi 101 à partir de la Charte canadienne ne pouvaient être contraires à la Charte québécoise, le législateur québécois ne pouvant simultanément appliquer la première et contredire la seconde. Néanmoins, la Cour supérieure et la Cour d’appel avaient ensuite analysé l’affaire en faisant l’hypothèse que l’article 10 de la Charte québécoise pourrait s’appliquer; elles sont arrivées à la conclusion que, même dans ce cas, il n’y aurait pas discrimination, certains des éléments constitutifs de la discrimination au sens de la Charte québécoise n’étant pas réunis. Les deux cours ont ensuite ajoutéPage 166 que, même s’il y avait discrimination, celle-ci pourrait être considérée comme justifiée.6

Dans l’affaire Gosselin, la Cour suprême a donné une réponse courte en choisissant de s’en tenir au premier aspect traité par les deux premiers tribunaux. Cela lui permettait de faire l’économie de toutes les questions extrêmement complexes et techniques soulevées par la définition du concept de discrimination sous l’empire de la Charte québécoise (questions que nous avons analysées dans notre étude précédente). Curieusement, elle a abordé les arguments des requérants fondés sur le concept de discrimination presque entièrement sous l’angle de la Charte canadienne, en ne mentionnant qu’à peine la Charte québécoise, alors que c’était pourtant cette dernière qui était invoquée.

L’argument juridique principal retenu par la Cour est le suivant: il n’y a pas de hiérarchie entre les diverses dispositions de la Charte canadienne et l’article 15 de celle-ci, garantissant le droit à l’égalité, ne saurait donc être utilisé pour contredire, neutraliser, modifier ou élargir son article 23, qui réserve l’accès à l’école de la minorité (donc à l’école anglaise au Québec) à certaines catégories d’enfants déterminées en fonction du dossier scolaire des enfants eux-mêmes ou de leurs parents. On comprend que cet argument, valable pour écarter l’article 15 de la Charte canadienne, ne l’est par contre pas pour écarter l’article 10 de la Charte québécoise (dans laquelle ne se retrouve nulle disposition semblable ou similaire à l’article 23 de la Charte canadienne).

Sans doute consciente de la faiblesse de cet aspect de son jugement, la Cour suprême a ensuite élargi son argumentation en s’éloignant des stricts arguments de texte pour prendre en compte la nature même des droits garantis par l’article 23 de la Charte canadienne, dont les paramètres ont été repris dans les dispositions contestées de la Loi 101. Elle souligne alors qu’il s’agit non pas d’un droit au libre choix de la langue d’enseignement qui serait garanti à tous, mais de droits accordés uniquement à la minorité linguistique et dont le bénéfice est donc par définition limité aux membres de celle-ci. Il serait donc contraire à la nature même de ces droits d’en généraliser artificiellement la portée par l’entremise du principe d’égalité et de non discrimination, peu importe qu’il s’agisse du principe d’égalité garanti dans la Charte canadienne ou de celui garanti dans la Charte québécoise. On comprend donc que ce deuxième argument, fondé non pas sur des considérations relatives au texte de la Charte canadienne, mais portantPage 167 sur la nature même des droits en cause et de leurs rapports avec le principe d’égalité, est applicable autant à la Charte québécoise qu’à la Charte canadienne.

Comme nous l’avons mentionné dans notre étude précédente, la Cour suprême aurait également pu traiter l’affaire sous l’angle de la discrimination. Elle serait sûrement arrivée alors aux mêmes conclusions que la Cour supérieure et la Cour d’appel, à savoir qu’il n’y avait pas de discrimination, ou encore elle aurait pu, dans le cas contraire, juger qu’il s’agissait d’une forme de discrimination justifiée par la vulnérabilité de la langue française. Si elle avait procédé de la sorte, la décision aurait été considérablement plus longue, plus technique et plus complexe et serait devenue difficilement compréhensible pour le grand public. En choisissant d’aller au plus court, la Cour suprême a donc pu adopter une décision relativement dénuée de complexités juridiques et davantage fondée sur des principes généraux aisément compréhensibles par les non-juristes.

Par ailleurs, en fondant sa décision sur la nature des droits minoritaires dont le bénéfice est, par définition, limité aux membres de la minorité, la Cour mettait l’accent sur la question des critères devant être retenus pour vérifier l’appartenance d’une personne à la minorité. C’est cette question qui a été traitée dans l’affaire Solski/Casimir.

Pour terminer, soulignons que la Cour suprême avance un autre argument, plus précis et plus complexe, mais également fondé sur la nature minoritaire des droits garantis par l’article 23 de la Charte canadienne et repris de celle-ci dans la Loi 101. Elle mentionne en effet (aux paragraphes 31 et 32) que si le «libre accès» aux écoles minoritaires avait été retenu par le Constituant de 1982, les membres de la majorité linguistique étant alors admis à envoyer leurs enfants dans les écoles de la minorité linguistique, les écoles de la minorité francophone, à l’extérieur du Québec, pourraient devenir des centres d’assimilation au cas où les membres de la majorité linguistique «submergeraient» les élèves de la minorité linguistique. La Cour va jusqu’à dire qu’«un gouvernement provincial qui offrirait à tous les citoyens un accès égal aux écoles destinées aux minorités linguistiques manquerait à son obligation [constitutionnelle aux termes de l’article 23 de la Charte canadienne]» (paragraphe 32). Autrement dit, non seulement l’article 23 de la Charte canadienne n’oblige pas les provinces à offrir le libre choix entre l’école majoritaire et l’école minoritaire, mais il leur interdit de le faire, du moins dans les cas où l’on peut démontrer qu’un tel libre choix aurait des conséquences dommageables pour les minorités en transformant les écoles minoritaires en écoles d’immersion pour les enfants de la majorité désireux d’apprendre la langue de la minorité comme langue seconde.

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Par ailleurs, la Cour souligne également qu’au Québec, la présence d’écoles minoritaires anglophones ouvertes aux membres de la majorité francophone servirait à contrecarrer la volonté de la majorité de protéger et de favoriser le français, langue de la majorité au Québec mais langue minoritaire dans le contexte plus large de l’ensemble du Canada (paragraphe 31). Cette comparaison entre la situation au Québec et celle qui existe en dehors du Québec amène la Cour à souligner, comme elle le fait également dans l’arrêt Casimir, que l’application de l’article 23 de la Charte canadienne «doit tenir compte des disparités très réelles qui existent entre la situation de la communauté linguistique minoritaire du Québec et les communautés linguistiques des territoires et des autres provinces». Et la Cour d’ajouter: «Des problèmes différents n’appellent pas nécessairement les mêmes solutions» (paragraphe 31 de l’arrêt Gosselin, renvoyant au paragraphe 44 de l’arrêt Solski/Casimir).

II La décision dans l’affaire Solski/Casimir

Dans l’affaire Solski/Casimir,7 les requérants contestaient la compatibilité, avec le paragraphe 23 (2) de la Charte canadienne, du paragraphe 73 (2) de la Loi 101. Ce dernier article reprend les dispositions de l’article 23 de la Charte canadienne qui rendent admissibles à l’enseignement en anglais au Québec les enfants recevant ou ayant reçu l’enseignement primaire ou secondaire en anglais (ainsi que leurs frères et sœurs), mais en y ajoutant une condition non prévue dans l’article 23, à savoir qu’il doit s’agir de la «majeure partie» de l’enseignement reçu. Rappelons que cette condition était en pratique appliquée à la manière d’un critère purement quantitatif, avec la conséquence, par exemple, qu’un enfant ayant reçu la moitié de son enseignement en français et l’autre moitié en anglais se voyait refuser l’admissibilité à l’école anglaise au Québec. Par ailleurs, les personnes chargées de l’application des dispositions de la Loi 101 sur l’admissibilité en anglais appliquent l’article 73 (2) de la Loi 101 de façon disjonctive, en considérant séparément l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire reçus par un enfant. En pratique, cela signifie qu’une demande d’admissibilité sera acceptée si elle est présentée à l’issue de la première année du primaire ou de la première année du secon-Page 169daire, si celle-ci a été reçue en anglais. Enfin, avant l’adoption de la Loi 104 en 2002, la fréquentation d’une école privée non-subventionnée anglophone permettait légalement, en vertu de la Loi 101, d’obtenir l’admissibilité à l’école publique anglophone, à condition que l’enseignement reçu en anglais dans une telle école constitue la «majeure partie» de l’enseignement primaire ou secondaire.

En Cour supérieure, la juge Grenier était arrivée à la conclusion que la condition de «majeure partie» constituait une restriction non justifiable des droits garantis par le paragraphe 23 (2) de la Charte canadienne et l’avait donc invalidée.8 Au contraire, la Cour d’appel a jugé que la condition de «majeure partie» constituait non pas une restriction, mais un aménagement valide et légitime des droits garantis par l’article 23 (2) de la Charte canadienne et l’avait donc validée dans son application purement quantitative.9

Comme nous l’avions prévu dans notre étude précédente, la Cour suprême du Canada a validé la condition de majeure partie, mais en la «reformulant» de façon à ce que l’exigence porte plutôt sur une partie importante ou substantielle de l’enseignement reçu, de manière à laisser une discrétion aux instances chargées de l’appliquer, leur permettant ainsi de tenir compte des circonstances propres à chaque cas particulier. Elle a donc jugé que, pour respecter le paragraphe 23 (2) de la Charte canadienne, le critère de la «majeure partie» qu’établit le paragraphe 73 (2) de la Loi 101 devait comporter une évaluation qualitative plutôt que strictement quantitative du cheminement scolaire de l’enfant. Cette évaluation doit déterminer si l’enfant a reçu une partie importante —sans qu’il s’agisse nécessairement de la plus grande partie— de son instruction, considérée globalement, dans la langue de la minorité.

Ce remplacement d’une condition appliquée de façon purement quantitative par une condition appliquée de façon à la fois quantitative et qualitative soulève évidemment le problème des critères ou facteurs qui devront être utilisés dorénavant. Nous examinerons donc la décision de la Cour suprême pour voir quels sont les critères que celle-ci suggère.

Avant l’adoption par le Québec de la Loi 104 en 2002, c’est-à-dire à l’époque où la Loi 101 autorisait l’admissibilité à l’école publique (ou privée subventionnée) anglophone à travers la fréquentation d’une école privée non subventionnée anglophone, la disparition de la condition de «majeure partie» ou son interprétation «atténuante» (qualitative plutôt quePage 170 strictement quantitative) avait pour effet non seulement de faciliter l’admissibilité à l’école publique anglophone au Québec de personnes ayant reçu une partie de leur éducation en anglais en dehors du Québec (c’està-dire, dans la plupart des cas, les Canadiens anglophones d’autres provinces et les immigrants naturalisés venant s’établir au Québec), mais également de permettre aux Francophones québécois d’obtenir un tel droit en fréquentant au Québec même une école privée non subventionnée pendant un temps limité. Une fois la Loi 104 adoptée, la fréquentation d’une école privée non subventionnée anglophone au Québec ne permet plus d’acquérir le droit de fréquenter une école publique anglophone.10 Par conséquent, le sort de la condition relative à la majeure partie (sa validité et l’interprétation qu’on lui donne) ne conditionne plus que la plus ou moins grande facilité à acquérir l’admissibilité à l’école anglophone du Québec à partir de la fréquentation d’une école anglaise en dehors du Québec. Cependant, la Cour suprême n’avait pas à juger de la validité de la Loi 104, laquelle est par contre actuellement contestée devant la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Nguyen.11 Si la Loi 104 devait ultimement être jugée invalide, la fréquentation d’une école privée non subventionnée anglophone redeviendrait un moyen pour tous, y compris les Francophones du Québec, d’obtenir l’admissibilité à l’école publique anglophone. Et, dans ce cas, l’interprétation qualitative plutôt que strictement quantitative de la condition de la majeure partie faciliterait encore l’utilisation de ce moyen détourné. Nous verrons donc dans quelle mesure la décision de la Cour suprême dans l’affaire Solski/Casimir permet d’essayer de prévoir l’attitude que la Cour prendra, le moment venu, sur la validité de la Loi 104.

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A Les facteurs mentionnés par la Cour suprême pour une application «qualitative» de la condition de la «majeure partie» de l’enseignement reçu
1) Considérations générales sur la mise en œuvre de ces facteurs

Alors qu’une application purement quantitative de la condition de la majeure partie pouvait se faire à partir d’un examen technique du bulletin scolaire des enfants, une mise en œuvre qualitative, tenant compte de facteurs nombreux et complexes, exigera des personnes formées pour cette tâche et capables de poser un jugement nuancé. C’est ce que reconnaît la Cour suprême en affirmant que le critère de la majeure partie «doit se prêter aux nuances et à la subjectivité requises pour déterminer si l’admission d’un enfant, compte tenu de la situation personnelle de celui-ci, cadre avec l’objet du par. 23 (2) et avec la nécessité particulière de protéger et renforcer la communauté linguistique minoritaire» (par. 46).

Pour la même raison, la mise en œuvre qualitative de la condition de la majeure partie demandera un examen au mérite de nombreux cas particuliers et augmentera donc le contentieux relié à l’application de la Loi 101. Un certain nombre de parents dont les enfants ne remplissent pas cette condition en termes quantitatifs seront portés à réclamer leur admissibilité en avançant des considérations de nature qualitative. Néanmoins, comme dans d’autres domaines où les tribunaux doivent appliquer des critères flous, il se dégagera à la longue une jurisprudence qui autorisera une certaine prévisibilité et qui aura donc pour effet de décourager les demandes n’ayant pas de chances suffisantes de succès.

Dans l’arrêt Solski/Casimir, la Cour suprême analyse un certain nombre de facteurs susceptibles d’être mis en œuvre pour une application «qualitative» de la condition de la majeure partie, facteurs qu’elle présente comme n’ayant cependant pas un caractère exhaustif: le temps passé dans chaque programme, l’étape des études à laquelle le choix de la langue d’instruction a été effectué, les programmes qui étaient ou non offerts, l’existence de problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés. L’idée générale est que le cheminement scolaire global d’un enfant, antérieur et actuel, doit être «un indice d’engagement authentique à cheminer dans la langue d’enseignement de la minorité» (par. 28) ou encore doit démontrer que l’enfant a formé «un lien suffisant avec la communauté linguistique minoritaire» (par. 35).

L’évaluation doit être à la fois subjective, l’ensemble de la situation personnelle de chaque enfant devant être considéré, et objective, en ce sensPage 172 qu’il faut déterminer si, compte tenu de la situation personnelle de l’enfant, l’admission de celui-ci cadre avec l’objet du paragraphe 23 (2) de la Charte canadienne et, en particulier, avec la nécessité de protéger et de renforcer la communauté linguistique minoritaire (ibidem).

Quant à l’objet du paragraphe 23 (2), il est triple: garantir le droit à la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité; préserver l’unité familiale; favoriser la liberté de circulation et d’établissement.

Enfin, l’application de l’article 23 est «contextuelle» et doit tenir compte des disparités qui existent entre la situation de la communauté minoritaire anglophone du Québec et celle des communautés minoritaires francophones des autres provinces. En particulier, le gouvernement provincial du Québec «doit disposer de la latitude suffisante pour assurer la protection de la langue française tout en respectant les objectifs de l’art. 23» (par. 34).

2) Le temps passé dans chaque programme

La Cour affirme qu’il est important de prendre en considération la période totale —études primaires et secondaires combinées— que l’enfant a passées dans le programme d’enseignement de la langue de la minorité (par. 39). Elle semble donc prendre le contre-pied de l’interprétation disjonctive que font au Québec les personnes chargées de vérifier l’admissibilité à l’enseignement en anglais, en considérant séparément les études primaires, d’une part, et les études secondaires, d’autre part. Remarquons que la pratique indiquée par la Cour comme étant la plus souhaitable pourrait s’avérer moins favorable aux demandeurs d’admissibilité que la pratique québécoise actuelle, en vertu de laquelle il suffit que la première année du secondaire ait été légalement passée à l’école anglaise pour établir l’admissibilité, même si toutes les années du primaire ont été passées à l’école française. Selon les indications de la Cour, dans une telle situation, il faudrait plutôt refuser l’admissibilité.

La Cour affirme que plus un enfant passe de temps dans un programme d’éducation dans la langue de la minorité, plus il est facile de conclure à son appartenance à la communauté minoritaire. Par ailleurs, elle contredit formellement le jugement de la juge Grenier en Cour supérieure, lequel affirmait qu’il suffisait qu’un enfant soit inscrit à un programme en langue minoritaire au moment de la demande d’admissibilité à l’école publique, peu importe ses études antérieures. En effet, la Cour suprême mentionne qu’il ne suffit pas qu’un enfant soit inscrit depuis quelques semaines ou quelques mois à un tel programme pour permettre de conclure que cet en-Page 173fant est admissible aux programmes dans la langue de la minorité au Québec (par. 39).

Selon la Cour, d’un point de vue subjectif, il faut vérifier si les circonstances révèlent une intention d’adopter la langue de la minorité comme langue d’enseignement. Mais l’intention ne suffit pas. Du point de vue objectif, le cheminement scolaire et les choix faits à cet égard doivent étayer l’existence d’un lien avec la langue minoritaire.

En outre, ce que la Cour ne dit pas expressément, mais qui est implicite dans son raisonnement, c’est que l’intention d’adopter la langue minoritaire comme langue d’enseignement doit être actualisée de façon légale par les intéressés. Autrement dit, un parent qui veut réaliser une pareille intention ne peut le faire que par les moyens légaux à sa disposition.

Enfin, la Cour rappelle que le paragraphe 23 (2) de la Charte canadienne ne précise pas de période minimale que l’enfant devrait passer dans un programme d’enseignement dans la langue de la minorité (mais elle vient également de dire qu’il ne suffit pas de quelques semaines ou de quelques mois) et qu’il n’exige pas non plus que l’enfant ait passé plus de temps dans le programme d’enseignement de la minorité que dans celui de la majorité (ce qui la justifie de rejeter l’application purement mathématique de la condition de la «majeure partie») (par. 41). Par ailleurs, elle avait précédemment mentionné qu’«un enfant qui a fait ses première, deuxième et troisième années en français et ses quatrième, cinquième et sixième années en anglais pourrait avoir formé un lien suffisant avec la communauté linguistique minoritaire» (par. 37), ce qui veut dire qu’un enfant ayant passé exactement autant de temps dans un programme que dans un autre pourrait être considéré comme remplissant la condition de la majeure partie interprétée qualitativement.

3) L’étape des études à laquelle le choix de la langue d’instruction a été fait

Les explications que la Cour suprême donne relativement à ce deuxième facteur manquent nettement de clarté. En effet, après avoir affirmé que dans certains cas la première langue choisie est un meilleur indice, la Cour mentionne qu’un choix effectué au moment d’entrer à l’école secondaire «peut témoigner d’un engagement plus ferme et plus éclairé [...] que s’il avait été fait dès les premières années du primaire» (par. 42). Autrement dit, selon des circonstances sur lesquelles la Cour ne s’explique pas, le choix en faveur de la langue minoritaire peut être significatif parce qu’il a été fait au primaire ou, au contraire, parce qu’il a été fait au secondaire...

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4) La disponibilité des programmes et le phénomène de l’assimilation linguistique (facteurs applicables principalement ou exclusivement en dehors du Québec)

Nous mentionnons ces facteurs sans les approfondir car ils semblent destinés exclusivement à la situation existant dans les provinces majoritairement anglophones. En effet, la Cour suprême évoque deux situations qui ne semblent guère se produire au Québec.

En premier lieu, celle où l’enseignement de la langue de la minorité n’est pas disponible dans certaines régions, des parents choisissant alors, et pour cette seule raison, l’enseignement dans la langue de la majorité, mais voulant ensuite, probablement après avoir changé de domicile, revenir à l’enseignement de la langue de la minorité lorsque celui-ci est à nouveau disponible. On se rappellera qu’une telle situation était en cause dans l’affaire Abbey, jugée par la Cour d’appel de l’Ontario et analysée dans notre étude précédente.12

En second lieu, la situation où des parents minoritaires «assimilés» (c’est l’adjectif utilisé par la Cour) ont commencé par envoyer leurs enfants à l’école de la majorité linguistique et se ravisent ensuite pour l’envoyer à l’école de la minorité. L’article 23 de la Charte canadienne doit alors être interprété de façon à faciliter la «réintégration» dans la communauté minoritaire des enfants qui en ont été isolés.

Dans ce genre de situation, dit la Cour, un cheminement scolaire qui, en termes qualitatifs, ne rendrait pas l’enfant admissible au Québec, pourrait par contre avoir cet effet dans d’autres provinces. Et elle en profite pour souligner à nouveau que «l’application de l’art. 23 doit tenir compte des disparités très réelles qui existent entre la situation de la communauté linguistique minoritaire du Québec et les communautés linguistiques minoritaires des territoires et des autres provinces». (par. 44).

5) L’existence de problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés

La Cour indique ici que les difficultés d’apprentissage dans une langue en particulier constituent un facteur pertinent et donne l’exemple d’un enfant ayant fait ses trois premières années de scolarité dans la langue de la minorité, puis les trois années suivantes dans la langue de la majorité, et éprouvant des problèmes d’apprentissage dans cette langue. Il serait, dit laPage 175 Cour, «pénalisé de façon inacceptable» s’il était forcé de poursuivre ses études dans la langue de la majorité, «vu le fait qu’il juge plus facile de recevoir son instruction dans la langue de la minorité» (par. 45; nous soulignons). On suppose néanmoins que les problèmes d’apprentissage devront être attestés par un spécialiste en psychologie ou en pédagogie et que les autorités décisionnelles ne seront pas tenues de considérer qu’il existe de tels problèmes dès que l’enfant ou ses parents jugeraient plus facile de recevoir l’enseignement dans la langue de la minorité.

6) La fréquentation en dehors du Québec d’une école d’une commission scolaire anglophone pratiquant l’apprentissage du français par immersion

Un des cas soulevés devant les tribunaux dans l’affaire Solski/Casimir mettait en cause une enfant qui avait été inscrite, en dehors du Québec, dans une école d’une commission scolaire anglophone et qui y avait reçu la moitié de son instruction en anglais et la moitié en français dans le cadre d’un programme d’immersion en français. Il fut décidé par les personnes chargées de vérifier l’admissibilité qu’elle n’avait pas reçu la «majeure partie» de son instruction en anglais. La Cour juge incorrecte une telle décision, l’enfant ayant en fait reçu un enseignement pour anglophones et ayant ainsi développé «des liens plus étroits avec la communauté anglophone qu’avec la communauté francophone». Par conséquent, en vertu d’une application qualitative de la condition de la «majeure partie», elle avait le droit de poursuivre ses études en anglais au Québec (par. 50).

Cette interprétation semble raisonnable et a d’ailleurs été presque unanimement approuvée par les commentateurs au Québec. Par ailleurs, elle satisfait les francophones hors Québec, qui étaient inquiets à l’idée qu’une instruction d’immersion dans la langue de la minorité puisse, dans leur province de résidence, être considérée comme un véritable enseignement dans la langue de la minorité au sens de l’article 23 de la Charte canadienne.

7) La fréquentation, au Québec, d’une école privée non subventionnée anglophone ou d’une école publique anglophone en vertu d’un permis temporaire

Ici, la Cour souligne qu’avant l’adoption de la Loi 104, la Loi 101 ellemême permettait que l’enseignement reçu dans une école privée non subventionnée, ainsi que l’enseignement dans une école publique anglophone en vertu d’un permis temporaire, soient pris en compte pour le calcul requisPage 176 pour l’application du critère de la majeure partie. Cette double possibilité a été supprimée par la Loi 104, sur la validité de laquelle la Cour suprême n’était pas appelée à se prononcer dans l’affaire Solski/Casimir.

Néanmoins, la Cour suprême fait certains commentaires sur ces deux situations, qui deviendraient pertinents si la Loi 104 était abrogée ou déclarée inconstitutionnelle. Elle affirme en effet que, dans un tel cas, il y aurait lieu de prendre en considération l’enseignement reçu dans la langue de la minorité, soit dans une école privée non subventionnée, soit en vertu d’un permis temporaire. Le critère applicable serait toujours l’engagement à cheminer dans la langue d’enseignement de la minorité, «peu importe comment il a pris naissance» (par. 54).

8) Sommaire des facteurs de l’application qualitative de la condition de la majeure partie

La Cour synthétise l’application des facteurs qu’elle vient d’examiner de la façon suivante:

Dans la majorité des cas, l’enfant qui est légalement inscrit à un programme d’enseignement reconnu et qui le suit régulièrement est en mesure de poursuivre ses études dans cette langue. [...] un enfant régulièrement inscrit dans une école de la minorité linguistique a droit à un cheminement scolaire uniforme et ne devrait pas être déraciné et envoyé dans une école de la majorité linguistique. [...] Néanmoins, il est justifié de procéder à une évaluation qualitative de la situation pour déterminer s’il existe une preuve d’engagement authentique à cheminer dans la langue d’enseignement de la minorité, chaque province exerçant son pouvoir discrétionnaire en fonction de sa situation particulière, de son obligation de respecter les objectifs de l’art. 23 et des politiques d’enseignement.

(par. 47).

La Cour semble donc en quelque sorte reconnaître l’existence d’une présomption en vertu de laquelle un enseignement dans la langue de la minorité, une fois commencé, doit pouvoir se poursuivre. Cette présomption pourrait cependant être réfutée si l’évaluation qualitative démontrait qu’il n’existe pas d’engagement authentique à cheminer dans la langue de la minorité ou si le cheminement scolaire de l’enfant, antérieur et actuel, ne concordait pas avec son appartenance à la catégorie de bénéficiaires des droits garantis.

Autrement dit, lorsqu’un enfant a légalement commencé son instruction dans la langue de la minorité, il a le droit de la continuer dans cette langue à moins que l’on puisse démontrer que l’engagement n’est pas «au-Page 177thentique», c’est-à-dire que le comportement de l’enfant ou de ses parents équivaut à de la mauvaise foi et constitue un artifice destiné à contourner la lettre ou l’esprit de l’article 23 de la Charte canadienne.

Cela pourrait par exemple être le cas de parents envoyant leurs enfants en dehors du Québec fréquenter une école anglophone pendant une année pour obtenir l’admissibilité à l’école anglophone au Québec. Mais on peut également imaginer des situations où un tel comportement serait parfaitement légitime, comme dans le cas où la maladie d’un parent, une séparation ou une crise familiale amènerait des parents à envoyer un enfant pour une certaine période chez un oncle ou une tante résidant ailleurs au Canada.

9) Effet de l’interprétation qualitative sur la situation des francophones québécois cherchant à obtenir pour leurs enfants l’admissibilité à l’école anglaise publique au Québec

L’interprétation qualitative de la condition de la majeure partie va faciliter l’admission à l’école anglaise publique au Québec des enfants ayant reçu une partie de leur instruction en anglais en dehors du Québec et dont les parents n’ont pas eux-mêmes reçu leur instruction en anglais (dans ce dernier cas, c’est la «clause Canada» qui s’applique, le paragraphe 23(2) étant alors inutile). Cela signifie que des Francophones québécois qui voudraient acquérir l’admissibilité devraient envoyer leurs enfants fréquenter une école anglophone dans une autre province pour un temps suffisant en termes quantitatifs et «qualitatifs». Par contre, en tenant compte de la Loi 104, il ne leur est plus possible d’obtenir le même résultat en faisant fréquenter à leurs enfants une école privée non subventionnée au Québec. Cette possibilité réapparaîtrait par contre si la Loi 104 était considérée comme inconstitutionnelle. Elle serait alors encore beaucoup facilitée par le fait que la condition de la majeure partie a été «atténuée» par la Cour suprême et devrait maintenant être appliquée de façon qualitative plutôt que purement quantitative.

B La constitutionnalité de la Loi 104
1) Arguments en faveur de la constitutionnalité

Le Constituant n’indique pas dans l’article 23 de la Charte canadienne quel est le type d’école, publique, privée subventionnée ou privée non subventionnée dont la fréquentation par les parents ou les enfants permet dePage 178 revendiquer les droits garantis dans cette disposition. Néanmoins, comme le droit qui est garanti est le droit à l’instruction sur les fonds publics et, dans certains cas, le droit à des établissements d’enseignement financés sur les fonds publics, il semble que l’économie générale de l’article 23 permette de l’interpréter comme ne visant que les écoles publiques ou privées subventionnées, à la fois comme celles où s’exercent les droits garantis et comme celles dont la fréquentation, par les parents ou par les enfants, fait naître les droits garantis.

La note marginale du paragraphe 23 (2) —«continuité d’emploi de la langue d’instruction»— pourrait d’ailleurs être interprétée comme connotant également une continuité dans le genre d’école fréquentée: seule la fréquentation d’une école publique de langue minoritaire par un enfant pourrait conférer à ses parents le droit de continuer à le faire instruire, ainsi que ses frères et sœurs, dans une école publique où l’instruction se donne dans la langue de la minorité. Quant aux parents qui ont commencé à faire fréquenter l’école privée non subventionnée à leurs enfants, il n’y aurait pas d’injustice à leur demander de continuer à utiliser ce régime, du moins s’ils veulent continuer à faire éduquer leurs enfants dans la langue de la minorité; l’école publique dans la langue de la majorité leur est par ailleurs ouverte sans restrictions.

Dans une telle optique, l’article 23 serait donc compatible avec une interprétation faisant naître les droits garantis uniquement à partir de la fréquentation d’une école publique ou privée subventionnée. Dès lors, la Loi 104 ne devrait pas être considérée comme entraînant une restriction des droits garantis par cette disposition, mais au contraire comme compatible avec elle. Par ailleurs, rien dans l’article 23 de la Charte canadienne n’empêche évidemment un législateur provincial, s’il le désire, de considérer que les droits de l’article 23 puissent également naître de la fréquentation d’une école privée non subventionnée, comme le faisait d’ailleurs la Loi 101 jusqu’en 2002; il s’agit alors d’une extension législative des droits garantis.

Si, par contre, l’on jugeait que la Loi 104 restreint les droits contenus dans l’article 23 parce que celui-ci doit être interprété comme faisant de la fréquentation d’une école privée non subventionnée une condition suffisante pour la naissance du droit qu’il garantit, cette restriction pourrait être jugée comme raisonnable —et donc valide— en application de l’article 1 de la Charte canadienne, en prenant en compte la vulnérabilité de la langue française au Québec et la nécessité de mettre en œuvre des moyens pour la protéger et la promouvoir.

Par ailleurs, l’invalidation de la Loi 104 rétablirait une forme indirectePage 179 de libre choix qui menacerait l’équilibre linguistique au Québec, avec toutes les conséquences politiques qu’on peut imaginer. Or c’est justement le fait d’accepter la Loi 104 —qui comble la brèche ouverte par la possibilité d’utiliser l’école privée non subventionnée pour obtenir l’admissibilité à l’école anglaise publique— qui permet à la Cour suprême d’assouplir l’interprétation de la condition de la majeure partie sans avoir à craindre une utilisation trop abusive de cette possibilité et, par conséquent, la réouverture du débat sur la langue. Il est donc difficile de croire que la Cour suprême pourrait, dans un deuxième temps, recréer les conditions de tels abus en invalidant la Loi 104.

Enfin, on peut souligner que si la Cour suprême invalidait la Loi 104, elle ne laisserait au Québec, comme unique moyen d’empêcher le recours abusif à la fréquentation de l’école privée anglophone pour obtenir l’admissibilité à l’école anglaise publique, que celui de légiférer pour étendre l’application de la Loi 101 aux écoles privées non subventionnées, de façon à y imposer le français comme langue d’enseignement. Une telle législation ne pourrait très probablement pas être considérée comme contraire à la Charte canadienne, qui ne contient aucune disposition susceptible d’être interprétée comme garantissant le droit de choisir une école privée dispensant l’enseignement dans une langue particulière (par contre, la liberté de religion comprend le droit de choisir pour ses enfants une école privée confessionnelle). Quant à la Charte québécoise, son article 42 garantit le droit des parents de choisir pour leurs enfants des établissements privés, «pourvu que ces établissements se conforment aux normes prescrites ou approuvées en vertu de la loi». Parmi ces normes, pourrait certainement figurer l’obligation d’utiliser le français comme langue véhiculaire de l’enseignement.

2) Arguments défavorables à la constitutionnalité

Pour interpréter la portée des droits et libertés garantis par la Charte canadienne, la Cour suprême s’appuie principalement sur leur objet. L’interprétation retenue doit permettre la réalisation de l’objet (ou objectif) assigné au droit ou à la liberté par le Constituant. Comme nous l’avons mentionné précédemment, la Cour identifie les objets du paragraphe 23 (2) comme étant au nombre de trois: la continuité de l’éducation; l’unité linguistique des familles; la liberté de circulation. Une interprétation selon les deux premiers objets justifierait que l’éducation dans la langue de la minorité commencée dans une école privée non subventionnée au Québec soit considérée comme ouvrant l’admissibilité à l’école publique anglaise auPage 180 Québec. Par contre, le troisième objet —la liberté de circulation— n’est pas pertinent en l’occurrence, car la Loi 104 n’exclut pas du calcul pour l’admissibilité l’enseignement reçu dans une école privée en dehors du Québec.

Ensuite, l’évaluation qualitative de la condition de la majeure partie doit se faire, selon la Cour, de façon à la fois objective et subjective. L’évaluation objective consiste à se demander si, compte tenu de la situation personnelle de l’enfant, l’admission de celui-ci cadre avec la nécessité de protéger et de renforcer la communauté linguistique minoritaire. Dans la mesure où l’intérêt objectif de la minorité linguistique est pris en considération, l’admission du plus grand nombre possible d’enfants pourrait devoir être favorisée. Objectivement, la minorité a intérêt à augmenter ses rangs en recevant les enfants immigrants qui ont commencé à recevoir l’enseignement en anglais, que ce soit dans une école privée ou dans une école publique.

En troisième lieu, dans un passage déjà reproduit ci-dessus, la Cour synthétise de la manière suivante les facteurs qu’elle applique pour l’évaluation qualitative de la condition de la majeure partie: «Dans la majorité des cas, l’enfant qui est légalement inscrit à un programme d’enseignement reconnu et qui le suit régulièrement est en mesure de poursuivre ses études dans cette langue. [...] un enfant régulièrement inscrit dans une école de la minorité linguistique a droit à un cheminement scolaire uniforme et ne devrait pas être déraciné et envoyé dans une école de la majorité linguistique. [...]». (par. 47; nous soulignons). Or un enfant inscrit à l’école privée anglophone au Québec est «légalement inscrit à un programme d’enseignement reconnu». Pris au pied de la lettre, ce passage pourrait donc, à l’avenir, être interprété par la Cour elle-même comme signifiant que la fréquentation régulière d’une école privée non subventionnée anglophone doit être considérée comme ouvrant l’admissibilité à l’école publique anglophone au Québec.

Enfin, dans un autre passage, la Cour affirme que le critère applicable est toujours l’engagement à cheminer dans la langue d’enseignement de la minorité, «peu importe comment il a pris naissance» (par. 54).

Cependant, même s’il existe des raisons proprement juridiques pouvant être invoquées autant en faveur qu’à l’encontre de la validité de la Loi 104, ce sont très probablement les considérations politiques mentionnées précédemment qui l’emporteront. La Cour suprême voudra certainement éviter de rouvrir la question linguistique au Québec et de créer une importante crise politique ce qui serait le cas si, après avoir «atténué» la condition de la majeure partie, elle invalidait la Loi 104, établissant du fait mêmePage 181 un libre choix scolaire indirect au Québec autant pour les immigrants naturalisés que pour les Francophones québécois eux-mêmes. Rappelons que, dans l’affaire Gosselin, la Cour suprême affirme de façon très nette que le Constituant n’a pas voulu établir un régime de libre choix (ou «libre accès»), ni en dehors du Québec où un tel régime créerait le risque que les écoles minoritaires francophones deviennent des centres d’assimilation en servant d’écoles d’immersion pour les enfants de la majorité anglophone, ni au Québec où un tel régime servirait à «contrecarrer la volonté de la majorité de protéger et de favoriser le français comme langue de la majorité au Québec, sachant que le français restera la langue de la minorité dans le contexte plus large de l’ensemble du Canada» (arrêt Gosselin, par. 31).

Si la Cour suprême a clairement et décisivement rejeté le principe du libre choix scolaire pour le Québec dans l’affaire Gosselin, où elle aurait pu le fonder sur la Charte québécoise, il est presque impossible de penser qu’elle accepte dans l’avenir d’établir un tel principe sur le fondement de la Charte canadienne.

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[1] Professeur, faculté de droit, Université de Montréal.

[2] Charte de la langue française, L.Q. 1977, c. 5; L.R.Q., c. C-11.

[3] La Charte canadienne des droits et libertés est contenue dans la Partie I (articles 1 à 34) de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada,1982, R.-U., c. 11; L.R.C. (1985), app. II, n.º 44.

[4] Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12.

[5] Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 238, 2005 CSC 15. On trouvera le texte de la decision à la page internet suivante: www.lexum.umontreal. ca/csc-scc/fr/pub/2005/vol1/html/2005rcs1_0238.html.

[6] Gosselin c. Québec (Procureur général), (1992) R.J.Q. 1647 (C.S.); Gosselin c. Québec (Procureur général), (1999) R.J.Q. 1033 (C.A.).

[7] Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201, 2005 CSC 14. On trouvera le texte de la décision à la page internet suivante: www.lexum.umontreal.ca/cscscc/fr/pub/2005/vol1/html/2005rcs1_0201.html.

[8] Solski c. Québec (Procureure générale), [2001] R.J.Q. 218 (C.S.).

[9] Québec (Procureure générale) c. Solski, [2002] R.J.Q. 1285 (C.A.).

[10] L.Q., 2002, c. 28, a. 3. Parmi les modifications apportées en 2002 à la loi 101 par la loi 104, celle qui nous intéresse avait pour effet d’ajouter à l’article 73 les dispositions suivantes, à la fin de l’article: «Il n’est toutefois pas tenu compte de l’enseignement en anglais reçu au Québec dans un établissement d’enseignement privé non agréé aux fins de subventions par l’enfant pour qui la demande est faite ou par l’un de ses frères et sœurs. Il en est de même de l’enseignement en anglais reçu au Québec dans un tel établissement, après le (date de l’entrée en vigueur du présent article), par le père ou la mère de l’enfant».

[11] Le jugement porté en appel est celui du Tribunal administratif du Québec: Nguyen c. Ministre de l’Éducation et Procureur général du Québec, T.A.Q., SAS-M-079528-0210, 11-11-2003.

[12] Abbey c. Conseil de l’éducation du comté d’Essex, 42 O.R. (3d) 490 (Cour d’appel de l’Ontario).

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