Retour vers le passé: Le principe de précaution et la régulation des substances toxiques au Canada

AutorHélène Trudeau - Kateri Beauline-Bélisle - Thérèse Leroux
CargoProfesseure agrégée, Centre de recherche en droit public. Université de Montréal - Candidate à la maîtrise en sciences de l?environnement, Université du Québec à Montréal - Professeure titulaire, Centre de recherche en droit public. Université de Montréal
Páginas1-53

Recherche réalisée grâce à une subvention de la Commission du droit du Canada et de la Fondation pour la recherche juridique. En plus des organismes subventionnaires, nous remercions mesdames Carolina Monardes et Céline Nègre pour leur participation à cette étude.

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Sur la scène internationale, le Canada s’est souvent présenté comme étant à l’avant-garde dans la lutte contre les substances toxiqueset l’élimination des plus dangereuses d’entre elles1. De par sa situation géographique et l’immensité de son territoire, le Canada constitue l’un des pays du monde qui risquent le plus de souffrir des effets néfastes de l’accumulation des substances toxiques dans l’environnement. Certains écosystèmes et certains groupes de populations sont en effet affectés plus sévèrement que d’autres par la dispersion des produits chimiques. Les écosystèmes des Grands Lacs figurent parmi ceuxci, les nombreuses entreprises et municipalités qui en sont riveraines contribuant à en polluer les eaux de façon importante. Le bassin des Grands Lacs possède la plus grande superficie d’eau douce en surface au monde, quelque 245 000 km2, ce qui représente près de 20% de la réserve planétaire en eau douce et 80% de celle de l’Amérique du Nord2. La Stratégie binationale relative aux toxiques des Grands Lacs, signée en 1997 par le Canada et les États-Unis, vise à concerter l’action de ces deux pays face à la menace que représentent de nombreuses substances toxiques et persistantes au sein de cet écosystème

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essentiel3. Sous l’égide de la Commission mixte internationale, cette Stratégie établit notamment des objectifs communs ou individuels consentis par les deux États, l’objectif général consistant en la quasi-élimination des principales substances toxiques persistantes d’origine anthropique présentes dans le bassin des Grands Lacs4.

Au Canada, outre les écosystèmes et les populations des Grands Lacs, ceux des régions arctiques sont aussi particulièrement exposés aux substances toxiques, principalement aux polluants organiques persistants, communément appelés POP5. Le préambule de la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants6comporte d’ailleurs le paragraphe suivant :

Sachant que l’écosystème arctique et les populations autochtones qui y vivent sont particulièrement menacés en raison de la bio-amplification des polluants organiques persistants, et que la contamination des aliments traditionnels de ces populations constitue une question de santé publique.

Des concentrations élevées de POP sont en effet observées chez les prédateurs du plus haut niveau trophique vivant dans le nord du Canada. Ces substances sont généralement

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transportées au nord par des processus atmosphériques et s’accumulent dans les tissus des organismes en des concentrations croissantes tout au long de la chaîne alimentaire. La faune comme les populations nordiques peuvent donc être exposées aux effets biologiques de ces substances.

On comprend dès lors qu’une part importante des démarches politiques canadiennes en matière d’évaluation et de gestion des substances toxiques découle des préoccupations soulevées au pays face à la contamination croissante des Grands Lacs et de l’environnement arctique7. Plus récemment, les révélations médiatiques à l’effet que des échantillons de sang provenant de la population canadienne en général contiennent un impressionnant cocktail de substances chimiques ont alerté l’opinion publique8.

Alors que se poursuit au niveau mondial la mobilisation des États en vue d’éliminer progressivement les principaux polluants organiques persistants9, le Canada a entrepris de son côté un exercice de très longue haleine visant l’évaluation et la gestion des risques

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posés par les milliers de substances fabriquées, importées ou commercialisées en sol canadien. Fort de la compétence constitutionnelle que la Cour suprême du Canada lui a reconnue en la matière en 199710, le gouvernement canadien entend prendre des mesures pour contrer les risques liés aux plus dangereuses d’entre elles, notamment en procédant à leur quasi-élimination. Ainsi, en septembre 2006, le gouvernement fédéral menait à terme un exercice de catégorisation des 23 000 substances figurant à la Liste intérieure des substances11établie en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement12. Selon les résultats obtenus par ce processus, plus de 4000 substances devront faire l’objet d’une évaluation plus poussée des risques qu’elles peuvent présenter pour l’environnement et/ou la santé humaine. L’évaluation de près de 200 d’entre elles a été identifiée comme étant hautement prioritaire. Le Plan de gestion des substances chimiques du Canada, dévoilé en décembre 2006, établit la stratégie préconisée par le gouvernement canadien à l’endroit des substances qui auront été considérées toxiques13.

C’est à cet exercice de «retour vers le passé» que la présente étude s’intéresse. Il est encore trop tôt pour présenter un bilan de celui-ci, l’évaluation des substances catégorisées étant à peine entamée et l’établissement de stratégies de gestion des risques pour les substances visées pouvant fort bien s’étendre au-delà de l’année 2020. Une question essentielle se pose cependant : ce travail entrepris par le gouvernement fédéral à l’endroit des substances commercialisées au Canada permettra-t-il d’identifier et de

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contrôler adéquatement les substances chimiques pour lesquelles le risque scientifique demeure incertain? L’enjeu est ici de taille et l’exercice entrepris pourrait s’avérer vain et coûteux s’il ne mène pas à une meilleure prise en compte par les pouvoirs politiques de l’incertitude scientifique à l’égard des risques. En effet, l’absence même d’un quelconque processus visant à identifier les risques potentiels, a conduit par le passé à la commercialisation de substances qui se sont avérées par la suite dangereuses. Le législateur a-t-il su introduire, dans la L.C.P.E. de 1999, suffisamment de dispositifs pour assurer que les pouvoirs publics puissent dorénavant protéger la population canadienne dans les situations d’incertitude scientifique? De façon plus précise, le...

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