L'impact de la guerre civile espagnole sur la protection internationale des biens culturels en temps de guerre au XXE siècle

AutorPhilippe Tanchoux
Páginas373-392
L’attention portée au patrimoine est devenue au cours du XIXe siècle une
préoccupation politique, culturelle et sociale d’un grand nombre d’Etats. Sans
nul doute, en raison de la richesse et de l’ancienneté de leurs monuments
bâtis, les Etats européens furent parmi les premiers à s’y intéresser. Au-delà
des développements au sein de chaque Etat, ce consensus européen autour
de la question patrimoniale finit par émerger en droit international notamment
dans les travaux de l’Institut de Droit International 1. Si la conférence interna-
tionale de Bruxelles de 1874 2 et le manuel d’Oxford de 1880 3 préconisent aux
belligérants d’exclure des bombardements et destructions intentionnelles les
édifices des villes consacrés aux cultes, aux arts, aux sciences comme ils le font
1 Jiri Toman place à la Renaissance la première manifestation du souhait des Européens
de protéger les œuvres à l’abri des guerres sans concrétisation juridique avant le XIXe siècle.
Dans le contexte des conventions Genève établissant la Croix Rouge en 1864, il relève dès 1863
durant la guerre de Sécession l’initiative américaine du Code Lieber, ensemble d’instructions
adressées aux armées pour préserver, à l’instar des hôpitaux et établissements d’éducation, ce
qui relève des bibliothèques, musées des beaux-arts, monuments... et dont le modèle sera repris
par les principales armées européennes. Sur l’historique de l’apparition de normes juridiques
protectrices du patrimoine en temps de guerre, cf. J. Toman, La protection des biens culturels en cas
de conflit armé, Commentaire de la convention de La Haye du 14-05-1954, UNESCO 2004, 490 p
2 Cf. Sur l’initiative d’Henry Dunant et du Tsar Alexandre II de Russie, les délégués de 15
Etats européens se réunirent à Bruxelles le 27 juillet 1874 pour examiner le projet d’un accord
international concernant les lois et coutumes de la guerre. La Conférence adopta le projet sous
forme de Déclaration dont le texte non ratifié inspira les rédactions suivantes. L’Institut de Droit
International créé en 1873, nomma un comité pour examiner la Déclaration de Bruxelles et
apporter des propositions supplémentaires. Les efforts de l’Institut menèrent à l’adoption, en
1880, du Manuel d’Oxford concernant les lois de la guerre sur terre. La Déclaration de Bruxe-
lles et le Manuel d’Oxford forment la base des deux Conventions de La Haye relatives à la
guerre sur terre et les dispositions annexées à celles-ci, adoptées en 1899 et 1907, cf. http://
www.icrc.org
3 Les lois et coutumes de la guerre sur terre, (manuel de l’Institut de droit international), pé-
nalisait la violation de ces normes nouvelles, Recueil général des lois et coutumes de la guerre, recuei-
llies et annotées par Marcel Deltenre, Bruxelles, F. Wellens-Pay, 1943, p. 634 et sq.
L’impact de la Guerre Civile espagnole sur
la protection internationale des biens culturels
en temps de guerre au XXe siècle
Philippe Tanchoux
Maître de conférences en histoire du droit,
Université d’Orléans, Laboratoire Collectivités Publiques
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des hôpitaux et lieux de soins des malades et blessés et de signaler ces biens
à l’assiégeant par des signes visibles spéciaux, ce sont véritablement les conven-
tions de La Haye de 1899, 1907 et 1924 qui pour la première fois dans le droit
de la guerre singularisent les biens culturels pour les mettre à l’abri lors des
conflits militaires 4.
Durant le premier conflit mondial, c’est dans les pays neutres que se pro-
longea cette réflexion 5. La Société des Nations (SdN) créée en 1919 dans le
cadre du Traité de Versailles reprit à son compte ces efforts, tout en privilégiant
la mise hors la loi de la guerre plutôt que son humanisation par voie de
convention. En 1922, est créée la Commission Internationale de Coopération
Intellectuelle (CICI) dans le but d’améliorer les conditions de travail de la
main d’œuvre instruite et de créer à l’échelle internationale des liens entre
enseignants, artistes, scientifiques et membres d’autres professions. Et en 1926
est fondé l’Institut International de Coopération Intellectuelle (IICI) qui sera
complété par l’Office International des Musées 6. Enfin, en 1931, la coopération
intellectuelle est reconnue comme une organisation technique à part entière.
Dans un contexte comparatiste renforcé en matière juridique en ce début
du XXe siècle, ces organismes sont chargés entre autres missions d’établir une
protection internationale du patrimoine culturel en rapprochant les législa-
tions nationales, les acteurs des musées, et en travaillant à l’établissement de
conventions internationales. Ce sont des recommandations, des études pré-
paratoires et des manuels techniques, des projets de conventions qui vont
marquer la progression du travail de l’OIM. Pour assurer ses travaux d’un écho
4 Cf. Le Règlement de La Haye de 1907, annexé à la Convention IV, art. 27 : « Dans les
sièges et bombardements, toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour épargner, autant que possible,
les édifices consacrés aux cultes, aux arts, aux sciences et à la bienfaisance, les monuments historiques, les
hôpitaux et les lieux de rassemblement de malades et de blessés, à condition qu’ils ne soient pas employés en
même temps à un but militaire. (...) Le devoir des assiégés est de désigner ces édifices ou lieux de rassemblement
par des signes visibles spéciaux qui seront notifiés d’avance à l’assiégeant ». Et l’article 56 « Les biens des
communes, ceux des établissements consacrés aux cultes, à la charité et à l’instruction, aux arts et aux
sciences, même appartenant à l’État, seront traités comme la propriété privée. Toute saisie, destruction ou
dégradation intentionnelle de semblables établissements, de monuments historiques, d’œuvres d’art et de
science, est interdite et doit être poursuivie ».
5 Les professeurs Ferdinand Vetter et Paul Moriaud des universités de Berne et Genève
lançaient à l’automne 1914 le projet d’une association de « la Croix d’Or », sur le modèle de la
Croix Rouge, pour assurer la sauvegarde des monuments consacrés aux cultes, aux arts, aux
sciences, et monuments historiques durant la guerre. Les chefs d’Etat seraient enjoints de res-
pecter les monuments et un signe distinctif placé sur les bâtiments visible de l’ennemi éviterait
les dégradations. Ces travaux furent discutés à la conférence de Bruxelles du 18 août 1915 entre
Allemagne, Autriche-Hongrie et Suisse pour aboutir à un avant projet et l’idée de mettre en
place un bureau international pour la protection des monuments en temps de guerre vit le jour.
A partir de 1929, les propositions de Vetter et Moriaud seront reprises sous la proposition du
pacte Roerich qui élargit les mesures à tous les sites culturels : archives, bibliothèques, instituts
scientifiques. Cette démultiplication des lieux à protéger expliquera le rejet du pacte comme
irréaliste, cf. Protection of monuments during war times 19-1-1934 Archives UNESCO (AU) OIM VI
26 1 ; cf. J. Toman, op. cit. p 30-31.
6 Cf. J.-J. Renoliet, L’UNESCO oubliée, la Société des nations et la coopération intellectuelle, 1919-
1945, Paris, Publ. de la Sorbonne, 1999.
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