Aperçu du droit français de l'arbitrage depuis la reforme du 13 Janvier 2011

AutorCarine Jallamion
CargoProfesseur à la Faculté de Droit et de Science Politique de Montpellier. Université Montpellier I
Páginas11-21

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Le droit français de l’arbitrage a été récemment réformé par le décret du 13 janvier 2011. Cette réforme était souhaitée et attendue afin de favoriser encore davantage l’arbitrage en matière commerciale et de faire en sorte que Paris soit l’une des places essentielles, sinon la première place pour l’arbitrage international2. Il s’agissait aussi d’intégrer dans le Code de Procédure civile toute une série de décisions rendues par la jurisprudence depuis la précédente réforme de 1980, particulièrement en matière commerciale, décisions dont les solutions n’étaient pas suffisamment accessibles aux praticiens étrangers de l’arbitrage3. Les difficultés réglées par la réforme sont donc es-

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sentiellement liées à la pratique des affaires et concernent logiquement l’arbitrage commercial, interne et international, distinction désormais classique puisqu’elle est adoptée par le droit français depuis 19804.

Cette volonté du législateur ne doit pas surprendre : le droit des affaires forme en effet la matière quasi unique de l’arbitrage en France, et si l’arbitrage en matière civile n’est pas impossible en droit français, il reste encore très limité. Le caractère exceptionnel de cet arbitrage s’explique par une raison ancienne : la prohibition de la clause compromissoire en matière civile, décidée par la Cour de cassation en 18435. Cette interdiction, en rendant impossible le fait de s’engager par avance, par le contrat, à avoir recours à des arbitres avant la naissance de tout litige, a porté un coup fatal à l’arbitrage civil6. Certes la loi du 15 mai 2001 est venue admettre à nouveau la validité d’une telle clause, à la condition qu’elle soit stipulée entre professionnels7, mais pour l’instant cette disposition encore trop récente n’a pas suffi à faire oublier le souvenir de plus de 150 ans d’interdiction, et l’arbitrage en matière civile demeure donc pratiquement inexistant.

Le décret du 13 janvier 2011 ne s’en est donc pas spécialement soucié, cherchant plutôt à régler plusieurs difficultés qui se sont posées en matière d’arbitrage commercial et qui pour nombre d’entre elles, avaient déjà été résolues par les juges. Voulant consacrer toute une série de solutions jurisprudentielles et introduire au passage quelques nouveautés, la réforme opère dans deux directions, lesquelles caractérisent aujourd’hui le droit français de l’arbitrage.

D’une part le décret du 13 janvier 2011 est venu accroître la souplesse, la facilité de la procédure arbitrale en ne conservant que les conditions de validité strictement nécessaires. D’autre part il est venu renforcer l’efficacité de l’arbitrage, notamment en confé-rant des pouvoirs plus importants et même de nouveaux pouvoirs au juge judiciaire en tant que juge d’appui. Ce juge peut ainsi être saisi pour toute difficulté liée à la constitution du tribunal arbitral ou à l’instance arbitrale, dans un plus grand nombre de cas

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qu’auparavant. Tous ces progrès se révèlent lors des trois temps de l’arbitrage que sont la convention d’arbitrage (1), puis l’instance arbitrale (2), enfin la sentence arbitrale (3).

1. La convention d’arbitrage

Il existe deux conventions d’arbitrage en droit français, la clause compromissoire stipulée dans un contrat avant la naissance du litige8, et le compromis passé une fois le litige né9. Dans la pratique, la clause compromissoire surtout est importante car c’est elle qui aboutit le plus souvent à l’arbitrage, tandis que les parties passent très peu de compromis10.

La validité de la clause compromissoire est admise depuis longtemps en droit fran-çais, et son autonomie est reconnue, c’est-à-dire que la clause demeure même si le contrat qui la contient est annulé, ce qui permet donc même dans ce cas la mise en œuvre de l’arbitrage11. Également il était déjà possible de mettre en œuvre l’arbitrage directement depuis la clause compromissoire, une fois le litige né, sans passer par l’étape du compromis.

Quant à l’apport de la réforme de 2011, il vient de ce que le décret accentue désormais la ressemblance entre le droit interne et le droit international à propos de la clause compromissoire, ce qui fait que cette dernière n’est quasiment plus soumise à aucune condition de validité en droit interne, comme c’était déjà le cas en droit international. La clause n’a plus notamment à fixer l’objet du litige, alors que le compromis quant à lui le doit toujours12, ce qui se justifie aisément, le litige étant déjà né. Mais alors il peut le faire de manière large, en prévoyant par exemple que « toutes contestations » seront soumises aux arbitres. De plus la clause ne doit plus nécessairement prévoir le nom des arbitres ni même leur modalité de désignation, puisque cette obligation n’est plus sanctionnée par la nullité13.

Le législateur a ainsi jugé inutile de continuer d’exiger ces deux conditions, qui étaient apparues au fil du temps plutôt comme des facteurs de fragilisation de l’arbi-

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trage que comme des moyens de protection en faveur des parties14. Le décret du 13 janvier 2011 vient donc autoriser en droit interne les clauses dites « blanches », c’est-à-dire vides, qui ne prévoient que le recours à l’arbitrage, sans autre précision. Il faut alors rappeler qu’en cas de difficulté le juge judiciaire en tant que juge d’appui peut toujours intervenir pour faire prévaloir la volonté des parties de se soumettre à l’arbitrage et pour les aider à constituer le tribunal arbitral, voire pour le constituer à leur place15.

Ainsi ne demeurent dans le droit interne de l’arbitrage que les restrictions jugées élémentaires. D’abord la clause compromissoire comme le compromis doivent toujours être écrits16, car la renonciation à la justice d’État, dont la compétence est de droit commun, est un acte grave qui exige que l’on recueille avec précaution le consentement des parties, lequel doit donc être donné par écrit. Il faut toutefois préciser que même sur ce point une certaine souplesse est permise puisque la clause compromissoire par référence, depuis longtemps admise par la jurisprudence17, a été à l’occasion du décret consacrée par le législateur18. Il est également entendu en droit français que les effets de cette clause peuvent s’étendre à un groupe de contrats, quand bien même la clause ne serait stipulée que dans un seul d’entre eux, un contrat-cadre par exemple19.

Ensuite la clause compromissoire demeure en droit interne interdite dans certaines matières, en matière civile notamment, chaque fois que le contrat n’est pas passé entre deux professionnels20. Cette interdiction a pour résultat d’exclure principalement la clause des contrats passés avec un consommateur et des contrats de travail. Quant au compromis, il n’est pas exclu dans ces matières mais il faut encore préciser que tous les litiges ne sont pas arbitrables, dans le sens où toutes les contestations ne peuvent pas être soumises à des arbitres21. C’est notamment le cas de la matière publique, de la matière pénale et de tout ce qui a trait à la condition des personnes, qui ne peuvent jamais

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former l’objet d’un arbitrage22. Hors donc ces matières, si les conventions d’arbitrage respectent les conditions requises et une fois le litige né, commence l’instance arbitrale.

2. L’instance arbitrale

L’instance arbitrale débute par la constitution du tribunal arbitral (2.1). Une fois les arbitres désignés, ils doivent respecter un certain nombre de principes qui forment la procédure arbitrale (2.2).

2.1. La...

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