Actualité du droit de l’urbanisme en france: les finalités environnementales et sociales
Autor | Jacqueline Morand-Deviller |
Cargo | Professeur agrégé de droit à l’Université Paris I Panthéon- Sorbonne; Présidente de l’Association internationale de droit de l’urbanisme (AIDRU). Université Paris I Panthéon-Sorbonne |
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L’environnement est longtemps resté le parent pauvre de la politique et il ne disposa d‘une législation et d’un ministère propre qu’à partir des années 1970, alors que l’Urbanisme, d’abord lié à la Construction et ensuite à l’ Equipement, a des origines plus anciennes que l’on peut faire remonter à la loi du 14 mars 1919 qui prévoyait une planification spécifique d’urbanisme et à la loi du 15 juin 1943 qui créé une administration propre à l’urbanisme et généralise les contraintes propres aux autorisations de construire. L’urbanisme est alors une « affaire d’Etat », il deviendra, en 1983, une « affaire de la commune » à la suite du grand mouvement de décentralisation de l’époque.
L’ environnement quant à lui est encore assez largement une « affaire d’Etat ». Son Ministère resta longtemps dépourvu de moyens, parvenant difficilement à imposer sa politique à son puissant rival, le Ministère de l’Equipement. La situation s‘est inversée ces dernières années et, comme dans la plupart des pays, la politique environnementale a fait une progression spectaculaire, due à la prise de conscience des menaces de détérioration de la planète. Les préoccupationsPage 149environnementales sont prises en compte par l’ensemble des textes et le droit de l’urbanisme, est l’un des domaines où leur influence se fait le plus sentir. Le dernier gouvernement mis en place après l’élection présidentielle, en 2007, promeut au premier rang un grand Ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durable où l’urbanisme et l’environnement se rejoignent et sont placés sur un pied d’égalité. Cet intérêt pour l’environnement s’est manifesté ensuite par une grande enquête nationale et la réunion de l’ensemble des acteurs de la société politique et civile : Etat, collectivités territoriales, syndicats, entreprises, ONG, associations, afin de bâtir un vaste programme environnemental pour les cinq prochaines années, négociations qualifiées de « Grenelle de l’Environnement ». On ne s’attardera pas sur l’aspect politique de cette question et on ne traitera ici que de la portée juridique effective des normes environnementales sur les normes d’urba-nisme en rappelerant comment, en vertu de la hiérarchie des sources du droit, ces normes s’articulent entre elles.
La source la plus élevée dans la hiérarchie des textes est, en France, la Constitution, le Conseil d’Etat ayant décidé qu’elle avait une valeur supérieure aux traités, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. La constitution française a longtemps ignoré l’environnement et ce n’est qu’assez tardivement, en mars 2005, qu’elle a franchi le pas en se dotant d’une « Charte de l’environnement » qui, « adossée » au Préambule de la Constitution, a pleine valeur constitution- nelle. Le droit de l’urbanisme est directement affecté par les dispositions contenues dans les dix articles de la Charte dont l’un des grands mérites, selon le célèbre « principe responsabilité » de Hans Jonas, est de proclamer plus de devoirs que de droits.
Les droits sont ceux pour toute personne de « vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (art 1), « d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » (art 7) ; les devoirs concernent pour l’ensemble des personnes publiques et privées celui de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement (art 2), celui de prévention, celui de réparation des dommages et s’agissant des seules autorités publiques le devoir de précaution (art 5) et celui de promouvoir un développement durable (art 6).
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Il est encore trop tôt pour tirer un bilan des conséquences de cette promotion constitutionnelle mais on peut prévoir que l’invocation des principes de la Charte pour s’opposer à des opérations d’urbanisme qui méconnaîtraient la protection de l’environnement ne restera pas exceptionnelle, qu’il s’agisse de recours en invalidation d’une loi ou de recours en annulation d’actes administratifs.
Immédiatement après la Constitution, la source hiérarchiquement supérieure est celle des conventions internationales (supérieures aux lois selon l’article 55 de la Constitution), au sein desquelles les sources du droit communautaire occupent une place de plus en plus envahissante.
Passées du zéro à l’infini, les questions environnementales doivent désormais être prises en compte par l’ensemble des règlementations des Etats membres. La France a connu quelques problèmes dûs à son retard à transposer certaines directives européennes (cf les directives « Oiseaux » et « Habitats »), mais elle se montre plus respectueuse des injonctions de Bruxelles et de Luxembourg ces dernières années. On en trouve des exemples en droit de l’urbanisme avec la transposition rapide de la Directive du 27 juin 2001 sur l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement désormais intégrée dans la planification urbaine locale, et aussi avec l’acceptation par la France, contrairement à sa position antérieure, de la jurisprudence de la CJCE qui soumet les conventions d’aménagement urbain à une mise en concurrence (loi du 20 juillet 2005). Et si le droit communautaire touche assez peu directement le droit de l’urbanisme, l’importance qu’il a pris en droit de l’environnement et l’inté-gration de celui-ci dans les autres droits exercent une influence de plus en plus forte sur la planification et l’aménagement urbain.
S’agissant des lois et décrets, leur nombre ne cesse de croître dans l’un et l’autre droit. Cette profusion de textes, très généralement critiquée, s’accompagne d’une incapacité de leurs auteurs à parvenir à des rédactions claires et épurées. Et bien que le Conseil constitutionnel français ait promu au rang de principe àPage 151valeur constitutionnelle celui d’accessibilité et d’ intelligibilité des lois, le « bavardage » ne connaît guère de trève. La loi « Engagement national pour le logement » du 13 juillet 2006 a transformé un projet qui ne comportait que 11 articles, en un texte lourd et souvent confus de plus de 112 articles et la succession ces dernières années de lois déléguant au gouvernement le pouvoir de prendre par ordonnance des mesures de simplification du droit, notamment en matière d’urbanisme, a conduit à une succession de textes, ajoutant à la stratification sans rien supprimer. On peut apprécier la volonté d’alléger et d’améliorer la procédure des autorisations de construire qui inspire l’ordonnance du 8 décembre 2005 et le décret du 5 janvier 2007, il n’en demeure pas moins que le système conserve une évidente complexité.
L’un des grands principes du droit de l’environnement, celui du développement durable, si galvaudé soit-il, ne cesse d’influencer le droit de l’urbanisme. Il est à l’origine de réglementations de plus en plus nombreuses : contraintes en matière d’économies d’énergie, haute qualité environnementale des constructions, redéploiement des modes de transports urbain, gestion rationnelle de l’eau et des déchets, gestion des risques sanitaires. La loi du 13 juillet 2005 sur la politique énergétique, qui s’est fixée comme objectif de réduire de 3% par an les émissions de gaz à effet de serre, intègre la notion de « performance énergétique » dans le code de la construction et dans celui de l’urbanisme. Des labels « Haute performance énergétique » et des facilités fiscales pour les équipements thermiques non polluants, sont prévus et une attention particulière est portée à l’égard des transports urbains qui sont pris en compte par les plans de déplacements urbains (PDU), documents de planification spécifiques dont la loi Solidarité et renouvellement urbain du 13 décembre 2000, dite loi SRU, renforce le caractère contraignant. Les PDU sont obligatoires dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Ils sont insérés dans la hiérarchie des documents de planification et doivent être compatibles avec les orientations des schémas de cohérence territoriale (SCOT).Les plans locaux d’urbanisme (PLU), quant à eux, doivent être compatibles avec leurs prescriptions.
Les objectifs du développement durable s’imposent depuis la loi SRU aux documents d’urbanisme: SCOT et PLU qui, selon l’article L 121-1 dont l’indicatif équivaut à un impératif, doivent respecter un principe d’équilibre. LesPage 152préoccupations stratégiques du renouvellement urbain, du développement urbain et rural maîtrisé, de la protection des espaces naturels et des paysages doivent ambitionner la dimension de solidarité et d équité propre au développement durable. Il serait injuste, par ailleurs, de n’accorder qu’une « valeur décorative » au célèbre projet d’aménagement et de développement durable (PADD), imaginé par la loi SRU, dont la portée a été quelque peu affaiblie trois ans plus tard par la loi « Urbanisme et habitat » du 2 juillet 2003. Le PADD est un document obligatoire, « clé de voûte » du dossier des PLU élaborés par les communes. Il définit les « orientations générales d’aménagement et d’urbanisme » dans une perspective de développement durable et, certes, ces dispositions doivent se comprendre comme des directives générales qui n’ont pas d’effet direct sur la planification urbaine et les autorisations de construire mais les orientations particulières du PLU doivent être en cohérence avec ces orientations générales, relation plus souple que la conformité mais qui n’est pas sans efficacité puisque qu’un manque de cohérence entre ces orientations et celles du PADD pourrait conduire à une annulation du PLU.
Plus généralement, le principe du développement durable oblige à des programmations à long terme et surtout à la mise en cohérence de politiques autrefois dissociées, aujourd’hui intégrées. Cette intégration sera facilitée par les études environnementales figurant obligatoirement dans le dossier des PLU et qui sont de deux sortes: soit l’ancienne étude simplifiée lorsque le territoire est couvert par un SCOT qui a déja fait l’objet d’une évaluation environnementale, soit la nouvelle procédure plus élaborée d’évaluation environnementale prévue par la Directive communautaire « Plans et programmes » du 27 juin 2001 que la France a transposée en 2004. Responsables de l’élaboration des PLU, les communes doivent faire figurer cette évaluation dans le rapport de présentation, lequel est porté à la connaissance du public lors de l’enquête publique.
Le principe d’intégration oblige également les responsables de l’aménagement urbain à envisager une gestion rationnelle de l’eau selon les obligations de la Directive européenne du 23 octobre 2000. La France a mis au point une planification assez sévère afin de réduire les risques d’inondations (loi du 30 juillet 2003 rendant obligatoire des plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) qui interdisent ou limitent les constructions dans les zones à risques.
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Si la réglementation maîtrise assez bien le problème d’assainissement en zone urbaine elle ne parvient pas à contrôler assez efficacement la pollution des rivières par les agriculteurs et les industriels. Elle progresse, mais lentement, dans les méthodes d’économie d’eau : bassins de récupération des eaux de pluies, collecteurs, recyclage, qui restent encore à l’état expérimental. La distribution et l’assainissement de l’eau sont de la compétence des communes comme l’est la gestion des déchets et ici encore le droit de l’urbanisme se trouve directement concerné.
L’une des conséquences de l’intégration du droit de l’environnement dans le droit de l’urbanisme est la place prise par le principe de participation. On sait que ce principe est affirmé sans ambigüité par les textes internationaux, communautaires et nationaux, mais en France les résistances demeurent fortes quant à la vraie dimension de la participation qui va au-delà du droit à l’information et à la concertation puisqu’elle donne aux citoyens le droit de participer à l’élaboration de décisions.
Le principe de participation en matière environnementale a été introduit dans notre droit par loi du 18 juillet 1985 qui le réduisait curieusement à un simple droit à l’information. Depuis l’intervention de la Convention d’Aarhus du 25 juin 1998, entrée en vigueur en France en octobre 2002, des évolutions devraient intervenir encore que la procédure de participation soit délicate, beau- coup plus que celle qui concerne l’information, aisément contrôlable, et qui, après des siècles de quasi clandestinité de la décision administrative, a considérablement progressé. La concertation est aussi plus facile à organiser et peut être rendue obligatoire, ce qui a été le cas en matière d’urbanisme s’agissant de l’obligation faite aux conseils municipaux par l’article L 300-2 du code de l’urbanisme d’organiser une concertation avec les habitants de la commune et autres personnes concernées avant tout projet d’aménagement et, depuis la loi SRU, avant toute élaboration ou révision des SCOT et des PLU. L’effectivité réelle de la procédure dépend évidemment de la volonté des autorités communales qui ont toute liberté pour l’organiser.
La question devient beaucoup plus délicate lorsqu’il s’agit d’imaginer des mécanismes qui permettent la participation du public à l’élaboration de la déci-Page 154sion administrative elle-même. Les représentants du peuple ont bien du mal à se départir d’une parcelle des pouvoirs qui leur ont été confiés, considérant que l’élection les a chargés, et eux seuls, de servir et définir l’intérêt général ; la participation risque alors de ne pas aller au delà, d’une fonction de consultation. Des réformes sont intervenues concernant le développement du référendum local. Elles pourraient être fort utiles pour trancher de certaines question propres à l’urbanisme et à l’environnement mais elles refusent d’élargir son initiative et de donner pleine valeur décisionnelle aux résultats de la consultation ce qui montre le poids des résistances
D’une manière générale, la progression du droit de l’environnement correspond à un « retour de l’Etat » qui se fait sentir en droit de l’urbanisme. Les élus locaux critiquent la multiplication des schémas, documents de programmation, chartes traitant de problèmes environnementaux spécifiques, patchwork de périmètres à la carte, soit incitatifs, soit impératifs. Ils couvrent des territoires dits « pertinents », différents des circonscriptions traditionnelles, et leurs règles s’articulent difficilement avec la planification générale d’urbanisme.
Par ailleurs, des divergences majeures peuvent se manifester quant aux choix de politique urbaine Ainsi actuellement un débat oppose les fonctionnaires de l’Etat favorables à une politique de « renouvellement urbain » privilégiant la reconstruction verticale de la ville sur elle-même et les élus de la périphérie restée rurale qui, au nom du développement économique de leur commune, estiment qu’il ne faut pas paralyser tout étalement de la ville. Un compromis doit être trouvé entre les orientations de la loi du 23 février 2005 sur les territoires ruraux qui prévoit la possibilité de sociétés d’investissement pour le développement rural dont le capital sera détenu par les régions, en partenariat avec une ou plusieurs personnes morales de droit public ou privé et les lois récentes sur le logement social, étroitement lié à la politique étatique de rénovation. Il est évident que les communes ont besoin d’un encadrement souple fixant les grandes orientations urbaines et environnementales à un niveau régional, rôle que jouent les directives territoriales d’aménagement (DTA), mais il est tout aussi évident que les opérations d’aménagement urbain entreprises par l’Etat ne pourront aboutir que si elles sont entreprises en étroite concertation avec les élus locaux.
Le retour de l’Etat est encore plus sensible, ces dernières années, avec la montée en puissance des préoccupations sociales et la reconnaissance du droit au logement.
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Depuis une quinzaine d’années, les questions sociales sont au coeur des débats sur la politique urbaine et de nombreux instruments ont été mis en place qui n’ont pas donné de résultats satisfaisants. Dans un premier temps, la proclamation des principes de mixité sociale et de diversité de l’habitat est restée trop théorique mais ces dernières années une politique plus ambitieuse a été mise en place dans le cadre du droit au logement.
Les articles L 110-1 et L 121-1 du code de l’urbanisme font allusion à deux notions proches : celle de mixité sociale et celle de diversité de l’habitat. Il s’agit de réagir contre les excès du fonctionnalisme, de mettre fin à la ségrégation sociale et de diversifier l’occupation d’un quartier ou d’un immeuble. Cette mixité devrait renforcer les bonnes relations entre les différentes catégories sociales et apaiser les conflits et violences urbaines. Lieu de rencontres et d’échanges, la ville est une communauté ouverte, encore faut-il que les relations entre ses habitants soient empreintes de civilité, de respect mutuel, de tolérance comportement que l’on pourrait qualifier de convivialité. Il faut donc lutter contre la ségrégation, les ghettos facteurs d’inégalités sociales et de violences, promouvoir de véritables « communautés urbaines ».
Cette politique dite des « quartiers en difficulté » a donné lieu depuis une quinzaine d’années à une réglementation foisonnante et à des systèmes à l’efficacité variable. La loi d’orientation pour la ville du 13 juillet 1991, proclame un « droit à la ville » – ce qui ne veut pas dire grand chose – mais elle est à l’origine de la notion de solidarité urbaine et d’une dotation permettant une péréquation entre communes riches et communes pauvres qui donné quelques résultats intéressants. En 1996 sont créées des « zones franches urbaines » afin de favoriser le développement économique et l’emploi dans les quartiers priori- taires en faisant bénéficier les entreprises qui s’installent dans ces zones d’exonérations fiscales. En 1999 la notion de renouvellement urbain suscite le lancement de « Grands projets de ville » et la loi solidarité et renouvellement urbain du 13 décembre 2000, dite loi SRU ose une des mesures les plus radicales en matière de construction de logements sociaux: l’obligation faite aux com-Page 156munes de plus de 3 500 habitants de (1 500 en Ile-de-France) de disposer d’au moins 20% de logements sociaux au regard des résidences principales sous peine de pénalités (art L 302-5 Code de l’habitation et de la construction, CHC). Dans chaque commune un débat doit avoir lieu tous les trois ans sur les conditions de réalisation des logements sociaux.
Une programmation plus ambitieuse et novatrice se manifeste récemment avec la montée en puissance de la politique du logement dont le droit de l’urbanisme ne peut se dissocier. Le législateur ne craint plus d’en appeler aux grands principes humanistes. La loi de programmation du 18 janvier 2005 se donne pour objet la « cohésion sociale », notion chargée d’une ambition qui va bien au delà de la recherche de mixité et diversité. La loi du 31 mars 2006 se préoccupe de « l’égalité des chances » et donne lieu à la création d’une Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ANCSEC) qui a pour mission de concourir à la lutte contre les discriminations et de promouvoir le savoir et la culture. Quant à la loi « Engagement national pour le logement » du 13 juillet 2006, conçue pour être un texte de grandes orientations en 11 articles et devenu un fourre-tout de 112 articles, comme il a été dit, elle proclame la mobilisation de la nation en faveur des sans logis ou des mal logés. Cet engagement envers la cohésion sociale se retrouve enfin dans la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable qui garantit à toute personne résidant sur le territoire français de manière régulière et stable le droit à un logement décent et indé- pendant et met en oeuvre une procédure spécifique et énergique pour faire valoir ce droit.
Ces textes se fondent implicitement sur le principe de dignité humaine laquelle ne peut être respectée si les hommes sont sans abri ou logés de manière indécente. La politique de la ville est toute entière centrée sur cette priorité dont la dimension éthique est ouvertement revendiquée et les moyens importants qui ont été mis en place et seront à la disposition, notamment, de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) agissant conjointement avec l’ANCSEC, devraient montrer leur efficacité.
Le droit de la planification et de l’aménagement urbain, atteint par ces nouveaux objectifs, devra s’adapter et on doit alors espérer que le droit dePage 157l’urbanisme qui semblait destiné à rester un droit sec et froid en la forme et raisonnable quant au fond se décidera, enfin, à se montrer plus ambitieux et à accéder en lui-même à la dimension éthique qui ne lui vient pour l’instant que de l’extérieur, par l’intégration des grands principes du droit de l’environnement et du droit au logement. On peut regretter aussi qu’il néglige de se rapprocher des principes de la Convention européenne des droits de l’homme qui l’ont peu influencé jusqu’ici.
La question des logements sociaux revêt une gravité nouvelle du fait de l’insuffisance quantitative de l’offre, due au fort ralentissement de la construction de ces logements et à la rareté de l’offre foncière. Cette pénurie a entraîné une hausse des prix immobiliers et des loyers, conduisant à éloigner du centre des agglomérations non seulement les catégories sociales les plus défavorisées mais aussi les classes moyennes. Le constat a été dressé, par ailleurs, de l’existence de nombreux secteurs d’ « habitat insalubre », requalifiés par la loi ENL d’ « habitat indigne », ce que la loi SRU avait tenté d’enrayer avec l’idée du recentrage de la ville afin d’y accueillir dans des conditions économiques acceptables une population plus nombreuse et des catégories sociales plus diversifiées.
Les principaux instruments mis au service de ces finalités sont les suivants : les établissements publics locaux ( créés dès 1991), qui peuvent se voir déléguer le droit de préemption et d’expropriation, pour la maîtrise du foncier et la constitution de réserves, les traditionnelles sociétés d’économie mixte d’aménagement, organismes de droit privé au statut de société anonyme dont la majorité du capital est détenu par les collectivités locales et, plus récemment les établissements publics locaux de rénovation urbaine ( créés en 2003) habilités à conduire des actions et opérations de rénovation pour le compte des collectivités publiques avec l’objectif annoncé de réaliser 500 000 logements sociaux. En 2005, 77 000 logements sociaux ont été construits et près de 100 000 en 2006. La loi ENL de 2006 permet aux collectivités territoriales, à titre expérimental pour une durée de 5 ans, de prendre des participations dans des sociétés publiques locales d’aménagement dont elles détiennent la majorité du capital. Cette création a pour objet de permettre à ces collectivités, le plus souvent les communes et groupements de communes, lorsqu’elles détiennent l’intégralité duPage 158capital de poursuivre des opérations d’aménagement urbain, notamment pour le logement social, sans passer par les procédures de mises en concurrence qui ne sont pas applicables à ces contrats dits « in house »: CJCE 18 novembre 1999, « Teckal ».
La réalisation et la gestion des logements sociaux étaient traditionnellement confiées à des organismes dits d’habitation à loyer modéré ( HLM) qui se répartissaient en trois catégories: Offices publics d’HLM au statut d’éta-blissement public administratif (OPHLM), Offices publics d’aménagement et de construction au statut d’établissements publics industriel et commercial (OPAC) et sociétés privées d’HLM au statut de sociétés anonymes. Afin de moderniser la gestion et de mieux répondre à la nouvelle dynamique de la politique du logement, la loi ENL de 2006 a regroupé les deux offices en une seule structure: les Offices publics de l’habitat au statut proche de celui des anciens OPAC.
L’Agence nationale pour la rénovation urbaine est dotée de moyens financiers importants ( 5 milliards d’euros) pour la réalisation du PNRU prolongée jusqu’en 2013.Mais il est évident que les opérations de rénovation ne peuvent être menées qu’en partenariat avec les communes. Au sein de l’ANRU vient d’être créée une mission d’expertise scientifique chargée d’aider les collectivités locales qui le souhaitent à élaborer des projets. La réalisation du programme a eu pour conséquence d’importantes démolitions (cf. la suppression de grands ensembles dégradés des années 50) préférées aux reconstructions à cause de la vétusté des immeubles et la volonté de « redensifier » certains quartiers. Des efforts ont été faits pour lutter contre la dégradation des copropriétés privées en difficulté et pour agir sur les causes profondes des processus de dégradation ce qui nécessite de diversifier les formes d’habitat, de faciliter l’accès à la propriété, de soutenir l’accroissement de l’offre de services publics, de désenclaver les quartiers en développant les transports publics, d’attirer les entreprises, de mobiliser les fonds européens alloués au titre des politiques urbaines pour la période 2007-2013, de soutenir le commerce de proximité. A cet égard, la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises créé au profit des communes un droit de préemption sur les fonds artisanaux et les fonds de commerce afin de conserver le commerce et l’artisanat de proximité en centre ville. Lorsqu’elle préempte, la commune a l’obligation de rétrocéder, dans le délaiPage 159d’un an, le fonds préempté à une entreprise immatriculée au registre du commerce (article L 214-1 code de l’urbanisme).
L’une des questions récurrentes est celle du partage des pouvoirs entre l’Etat, principal responsable de la politique de l’environnement et les communes, principales responsables de la planification et de l’aménagement urbain. La France est restée un Etat unitaire et, à la différence des Etats fédéraux, comme l’Allemagne et des Etats où les régions ont d’importantes compétences, comme l’Espagne ou l’Italie, les régions françaises ont des pouvoirs très limités. L’aménagement du territoire est de la compétence de l’Etat, ainsi que l’environnement mais celui-ci onnaît une progression de la décentralisation. Quant à la planification et à l’aménagement urbain, distinct de l’aménagement du territoire, la compétence a été transférée aux communes en 1983.
L’insuffisance des moyens dont disposent les trop nombreuses petites et moyennes communes (la France compte 36 8000 communes!) les a conduit, à l’origine, à demander l’aide des services de l’Etat, mis à leur disposition, intervention qui maintenait une certaine pression. Cette situation n’était pas satisfaisante, ni pour ces services souvent débordés par la mission de conseil qui leur était confiée, ni pour les élus de la commune insatisfaits de cette “tutelle” forcée. Une évolution se fait jour qui pousse les communes d’une certaine importance à exercer pleinement leurs compétences ( la mise à disposition des services de l’Etat n’est plus possible pour les communes de plus de 100 000 habitants ) et qui est favorisée par les progrès de l’intercommunalité.
S’agissant des opérations d’aménagement urbain, les communes les réalisent rarement elles-mêmes en régie, préférant s’adresser soit à des organismes publics ayant un statut d’établissement public industriels et commercial ( EPIC), soit à des organismes de droit privé prenant la forme de sociétés d’économie mixte (SEM) sociétés anonymes de droit privé. Des établissements publics fonciers, EPIC locaux peuvent réaliser pour leur compte ou celui d’autres personnes publiques toute acquisitions foncière ou immobilière en vue de la constitution de réserves foncières ou de la réalisation d’actions ou d’opérations d’aménagement. Le droit d’expropriation et de préemption peut leur être délégué et ils bénéficient du produit d’une taxe spéciale.
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Dans la plupart des pays européens, un acteur important dans la mise en œuvre du droit de l’urbanisme est le mouvement associatif. En France le phénomène associatif ne manque pas de vitalité et on estime à environ 15 000 le nombre d‘associations ayant pour objet l’urbanisme et l’environnement. Leur importance est variable mais le plus modeste groupement peut engager un procès devant le juge administratif et certains élus critiquent le rôle chicaneur du mouvement associatif, à l’origine de procès trop systématiques qui freinent les projets immobiliers et le développement des collectivités La critique est excessive car, en général, le mouvement associatif repose sur l’action bénévole, vouée à l’intérêt général, et si le droit de l’urbanisme et de l’environnement ont fait de grands progrès, ces derniers doivent beaucoup à cette action citoyenne à laquelle on doit rendre hommage. Le juge ne peut intervenir pour faire respecter la légalité que s’il est saisi et il le sera souvent par les associations. Certaines d’entre elles, lorsqu’elles sont agréées bénéficient de droits particuliers et peuvent se porter parties civiles
Le contentieux administratif de l’urbanisme occupe quantitativement en France le 3ème rang (après la fonction publique et les finances ) et il est en constant essor. Il a été le champ d’expérimentation de jurisprudences novatrices car le pouvoir d’appréciation du juge est important du fait de l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’administration et du fait de la place des normes d’orientation, souples et flexibles, ainsi du rapport de compatibilité entre les normes, ou de l’interprétation de notions telles que « urbanisation en continuité » ou « urbanisation limitée ». Ce contentieux a été le champ d’expérimentation de nouvelles méthodes d’investigation du juge : théorie de l’erreur manifeste d’appréciation, théorie du bilan, théorie du retrait et des décisions implicites…Le contentieux le plus abondant est celui de la légalité mais il s’accompagne de plus en plus d’un contentieux de la responsabilité et le versement de lourdes indemnités ampute parfois fortement le budget des collectivités locales.
Le contentieux pénal connaît lui aussi un certain essor. Le code pénal contient une liste d’infractions soit au permis de construire, soit à la règle d’urbanisme, délits qui ont un caractère matériel et sont assortis de sanctions. En principe l’administration a l’obligation de dresser procès verbal lorsqu’elle constate une infraction, le juge ayant l’opportunité de poursuivre ou non : et il recherche souvent la régularisation ce qui lui permet de ne pas poursuivre. La Cour de cassation, après des résistances, a donné aux particuliers la possibilitéPage 161de se constituer partie civile. Le nouveau code pénal (art 121-2) institue la responsabilité pénale des personnes morales y compris de droit public, à l’exception de l’Etat, responsabilité limitée aux activités susceptibles de faire l’objet de délégation de service public, ce qui concerne indirectement l’urbanisme et plus directement l’environnement.
Le droit de l’urbanisme n’a rien à redouter des valeurs universelles de l’éthique dont nos sociétés désenchantées ont plus que jamais besoin. Ces valeurs sont celles de la protection environnementale et de la solidarité sociale. Il doit les affirmer plus ouvertement qu’il ne le fait, les prendre à son compte et ne pas se contenter de se les voir imposer de l’extérieur. L’« ensemble humain » urbain est menacé par le poids croissant des mécanismes économiques et financiers, où il est question de « titrisation » des immeubles et de « produits financiers » sur un marché devenu « bulle spéculative ».
On peut alors s’interroger pour savoir si les initiatives les plus intéressantes ne pourraient pas venir d’en bas c’est à dire des villes elles-mêmes, assumant librement leurs responsabilités plutôt que d’en haut c’est à dire de Etat. N’a -t-on pas davantage à espérer des projets de solidarité noués entre les villes que des suites des conférences interétatiques, viviers de grandes déclarations rarement suivies d’effet comme l’est la récente Charte de Leipzig sur « La ville européenne durable »?
La Charte d’Aalborg est exemplaire à cet égard qui exprime la volonté des villes, s’exprimant à la première personne d’assumer pleinement leurs responsabilités sans se tourner vers leurs Etats. Les villes ne sauraient transmettre ses problèmes « ni à des communautés plus larges, ni aux générations futures », elles ont la capacité suffisante : « volonté, connaissances et idées nécessaire pour imaginer des modes de vie durables ».: Il n’y a pas de modèle urbain unique, « chaque ville étant différente… il leur appartient de trouver leur propre chemin pour parvenir à la durabilité ». Elles se sauraient se tourner vers l’Etat qu’à titre subsidiaire, d’autant que marquées par la diversité, aucun modèle technocratique venu d’en haut ne saurait leur être imposé... Les villes, « organisations de base des sociétés et des Etats » ont le devoir de régler au mieux leurs problèmes. On retrouve ici l’attention contemporaine portée aux devoirs indispensables compléments des droits.
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(Ourages généraux actualisés, les plus utilisés).
Henri Jacquot, François Priet, « Droit de l’urbanisme », 6ème éd. Dalloz, 2008.
Jacqueline Morand-Deviller « Droit de l’urbanisme », Dalloz, 2008, 8ème éd.2008 et « Droit de l’environnement » , Presses universitaires de France, 9ème édition 2009.
Michel Prieur, « Droit de l’environnement », 5ème éd. 2004. —« Développement durable. Un défi pour le droit », 104ème Congrès des notaires de France, Rapport mai 2008.