Révolution et transfert de droit: la portée de la constitution de bayonne

AutorJean-Baptiste Busaall
CargoProfesor invitado en la Universidad Autónoma de Madrid

Révolution et transfert de droit: la portée de la constitution de bayonne1

Jean-Baptiste Busaall: Ha sido profesor invitado en la Universidad Autónoma de Madrid, profesor ayudante de Historia del Derecho en las Universidades de París-Norte y de Rouen. Su tesis versó sobre el impacto de la experiencia constitucional francesa en la formación del primer liberalismo español (1808-1820). Ha publicado varios trabajos sobre el derecho constitucional y las ideas políticas durante la crisis de la Monarquía Española.

I La régénération de la monarchie, une réforme sans révolution?
  1. À en croire le comte de Las Cases, à Sainte-Hélène Napoléon faisait souvent revenir la conversation sur l'affaire d'Espagne qui, considérait-il, l'avait perdu. Déchu, l'Empereur ne semblait reconnaître qu'une maladresse dans les formes, un faux-pas qui ruina les plans généreux qu'il avait conçu pour le bonheur des Espagnols. L'intégration de la Péninsule ibérique à son système européen aurait été inévitable, mais la substitution dynastique était une erreur. La branche espagnole des Bourbon, nulle, ne menaçait pas sa légitimité nouvelle. Comme s'il avait fini par croire son propre discours de propagande, il affirmait péremptoire : « je délivrais donc les Espagnols de leurs hideuses institutions ; je leur donnais une constitution libérale [...] J'accomplissais le plus grand bienfait qui ait jamais été répandu sur un peuple, me disaisje, et je me le dis encore »2. Ses motifs furent pourtant bien moins élevés qu'il ne voulut le reconnaître.

  2. En effet, s'il décida de jouer le rôle du régénérateur, ce n'est qu'après avoir assuré ses intérêts et dans le but de faciliter l'acceptation de son frère aîné Joseph comme nouveau roi. Son lieutenant général dans la Péninsule, Murat, devint le président de la junte de gouvernement intérimaire laissée en place par Ferdinand VII, dès que les derniers membres de la famille royale quittèrent Madrid. Ne connaissant pas par avance les plans de son maître, il devait surtout chercher à contenter et à rassurer tous les partis3. Peut-être non dénué d'ambitions personnelles, il relayait à sa façon les informations sur la situation politique de la Péninsule. Les magistrats de la monarchie étaient inquiets de la prolongation de l'interrègne. Mi-avril, Murat suggéra d'abord la réunion d'une « diète espagnole à Bayonne ou à Bordeaux » afin de ménager « l'amour-propre national » tout en facilitant les objectifs de l'Empereur4. Il insista ensuite sur le fait que les secrétaires des dépêches eux-mêmes attendaient « comme tout bon Espagnol une Constitution de V. M. ; ils en sentent tous le besoin »5. Une fois qu'il eut recueilli les droits dynastiques des Bourbon, Napoléon acquiesça à l'idée de réunir une « assemblée des états à Bayonne » pour qu'instruite du désir impérial que le nouveau roi soit choisi dans sa Maison, elle désigne formellement Joseph sur lequel l'opinion devait être orientée6. Les instructions impériales reçues, Murat fit rédiger par une commission formée à parité de conseillers de Castille et de membres de la junte de gouvernement, la convocation d'une assemblée de députés espagnols à Bayonne « para tratar allí de la felicidad de toda España »7. Quelques jours plus tard, Napoléon l'entérinait dans un décret qu'il accompagnait d'une proclamation aux Espagnols8 dans laquelle il promettait une réforme « sans froissements, sans désordres, sans convulsions », bref sans révolution !

  3. Dans son discours, l'Empereur entendait convaincre les Espagnols des avantages qu'ils tireraient du changement de dynastie. Non sans maladresse, le document reproduisait les préjugés véhiculés par les Lumières sur le retard espagnol dû à l'obscurantisme religieux (une opinion partagée par certains régnicoles comme l'aventurier libéral Marchena)9. Risquant de blesser l'orgueil des sujets, Napoléon opposait la décadence de la Monarchie dont il imputait la responsabilité aux anciens monarques10, à l'ceuvre de la régénération dont il allait être l'auteur avec le soutien des Espagnols. Leurs députés devaient être porteurs des vceux et doléances de leurs commettants afin de pouvoir poser les bases « de la nouvelle constitution qui doit gouverner la monarchie »11. Dénué d'autre ambition que celle d'obtenir la reconnaissance dans la postérité, Napoléon ne voulait même pas exercer ses droits acquis lors des cessions de Bayonne ; une fois la constitution faite, il désignerait « un autre [lui]-même » pour devenir à la fois roi des Espagnes et des Indes, mais aussi des Espagnols. Rassurant, le statu quo provisoire était maintenu : toutes les autorités étaient confirmées à leurs postes et la justice devait continuer à s'exercer sans interruption.

  4. Bien que l'époque des républiques sceurs était terminée, la proclamation impériale s'inscrivait dans la continuité du discours missionnaire des révolutionnaires. L'expérience qui avait mis à jour le malentendu entre les patriotes européens et la Grande Nation qui prétendait libérer les peuples de l'Europe manu militari pour les mettre au service de la France12, n'avait pas modifié la prétention française à incarner le modèle de la science nouvelle du gouvernement et de la libération individuelle des chaînes de la féodalité et de l'Ancien Régime.

  5. En fait, Napoléon n'eut aucunement l'intention de convoquer à Bayonne une assemblée aux pouvoirs constituants contrairement à ce que pouvait laisser croire sa proclamation. Elle n'allait pas être à l'origine du texte constitutionnel, ni décider de son contenu final. Elle devait représenter les intérêts complexes de la Monarchie et jouer un rôle consultatif. Sa fonction était politique : sa participation formelle à l'ceuvre régénératrice devait légitimer le nouvel ordonnancement décidé par Napoléon sans être un élément constitutif de la validité juridique de la constitution. D'ailleurs une première version du projet rédigée par l'Empereur et Maret, son secrétaire particulier, avait été soumise au préalable à une commission ad hoc de magistrats espagnols. La discrétion avait été recommandée afin de donner du crédit au rôle que les députés devaient jouer13. Le texte sur lequel l'assemblée de Bayonne fut amenée à se prononcer suivait le modèle du bloc constitutionnel du Consulat et de l'Empire14.

  6. Or, même si comme l'affirmaient les consuls de la république, la Constitution de l'an VIII mettait fin à la Révolution, elle en était la conclusion et donc le résultat. Le bilan des dix années d'instabilité institutionnelle se refermait en arrêtant les acquis aux principes initiaux et notamment aux « droits sacrés de la propriété, de l'égalité, de la liberté ». Or ces principes de droits naturels individuels intégrés au droit positif par le biais de la Déclaration de 1789 furent définis dans un esprit de rupture radicale avec le passé qui introduisait la notion d'Ancien Régime. La régénération qui était devenue très vite porteuse des espoirs de la naissance de l'homme nouveau dans une société nouvelle, découlait de la table rase15. Les constituants successifs avaient cherché à structurer non seulement l'État, mais la société toute entière16. La Constitution de l'an VIII avait restreint son objet. Plus courte, elle devait mettre en place des organes efficaces de gouvernement pour diriger l'État tout en protégeant les intérêts nés de la Révolution.

  7. Ce n'était pas la première fois que Napoléon avait introduit un texte de ce type dans les États satellites confiés à ses frères, mais aucun d'eux n'avait résisté à la Révolution comme la Monarchie espagnole. En dépit de la pénétration de la propagande révolutionnaire et d'une connaissance des nouveautés politiques -ce qui n'implique pas pour autant leur compréhension et encore moins une adhésion-, elle avait traversé toute la période en préservant son caractère traditionnel. La Ilustración s'était développée sans remise en cause du système politique et de la place de la religion17. Elle avait permis le maintien des fondements et de la structure des institutions traditionnelles et rares furent les voix qui dans la métropole conclurent à l'incapacité du despotisme éclairé pour introduire les réformes nécessaires18. La crise tardive de la conscience espagnole19 était loin d'avoir produit une évolution des mentalités susceptible de conduire à une révolution.

  8. Indépendamment de la question de l'application effective de la Constitution dans les circonstances difficiles de la Guerre d'Indépendance, il semble y avoir une contradiction entre l'implantation d'un modèle constitutionnel français -un droit porteur des fondements de l'organisation de l'État et de la société politique- né de la rupture de 1789 et l'absence de bouleversement dans la Monarchie catholique. Était-il possible de régénérer l'Espagne et les Indes sans introduire la notion d'Ancien Régime20 ? Certes, l'argument de la régénération était un moyen et non un but pour Napoléon, mais ce n'est pas pour autant qu'il ne fit pas en sorte de lui donner une substance. Qu'entendait-il par régénération constitutionnelle de la Monarchie ?

  9. L'enjeu était de séduire la société tout en ménageant son tissu corporatif dont dépendait le succès du projet. En d'autres termes, il fallait éviter de provoquer un choc et une opposition réactionnaire tout en parvenant à introduire une nouvelle organisation du pouvoir qui...

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