Le double déchirement identitaire des morisques en espagne et au maghreb (début du XVIIE siécle)

AutorIsmet Terki-Hassaine
Páginas167-182
Mon thème d´intervention porte sur un des faits historiques qui est passé
presque inaperçu dans l´histoire de l´Espagne moderne, mais qui a laissé de
profondes cicatrices dans la mémoire collective de la population maghrébine
et du monde musulman en général au XVIIe siècle. Il s´agit de l´expulsion
des morisques d´Espagne, communauté musulmane espagnole qui s´est vue
obligée de se convertir au christianisme, après avoir subi dans sa chair et dans
son âme tous les affres douloureuses de l´exclusion et du déchirement iden-
titaire dans les méandres de la double vie, en n´ayant pas le droit de revendi-
quer d´être soi-même, sous la peine d´être poursuivie par le Tribunal d´Inqui-
sition, et cela après huit siècles de tolérance et de cohabitation entre las
communautés religieuses.
Evidemment, leur expatriation constitue un autre génocide, comme celui
des Juifs en 1492. Ils acceptèrent difficilement cette déportation massive ou
l´exil forcé, par ce qu´ils se considéraient comme des citoyens espagnols à part
entière ou comme le dit si bien Américo Castro « una porción de España, una
prolongación de su pueblo ». C´est avec un cœur totalement détruit qu´ils
acceptèrent de prendre le chemin de l´exil, dépossédés de leurs biens, en
laissant derrière eux toute une vie, tout un passé.
Ce déchirement identitaire s´est poursuivi même parmi les siens, les
musulmans des pays d´accueil maghrébins, en particulier dans la partie ouest
de la Régence d´Alger, provoquant en eux une perte des repères matériels
et affectifs, dont on n´a pas encore évalué son ampleur, mais qui a laissé sû-
rement et pendant longtemps de profondes blessures difficilement cicatrisées
dans la mémoire collective de la population maghrébine au début du XVIIe
siècle.
Précisément, dans cette communication, j´essayerai de montrer d´abord
comment ces nouveaux chrétiens d´origine musulmane ont subi différentes
formes d´injustice et de mesures discriminatoires et inhumaines durant toute
la période d´assimilation, c´est à dire depuis leur conversion forcée au chris-
tianisme en 1502 jusqu´à leur expulsion définitive d´Espagne entre 1609-1614.
Le double déchirement identitaire des morisques
en Espagne et au Maghreb (début du XVIIe siécle)
Ismet Terki-Hassaine
Professeur de civilisation espagnole et latino-américaine
Dpt. d´Espagnol/ Université d´Oran (Algérie)
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Nous verrons ensuite, comment ils ont subi également quelques rejets
des sociétés d´accueil maghrébines qui étaient récalcitrantes à leur égard au
début de leur installation, leur reprochant d´avoir accepté la conversion au
christianisme et bien sûr leur perte d´identité culturelle et religieuse musul-
mane.
Mais, avant d´aborder ce sujet, il m´a semblé utile et nécesaire de donner
un très bref état des lieux sur la production historiographique espagnole,
française, maghrébine et autres sur la question de la communauté morisque
en Espagne, quant á sa conversion, son assimilation, son expulsion d´Espagne
et son insertion au Maghreb.
Bref état des lieux sur la production historiographique
Si nous nous référons, par exemple, á la production historiographique
espagnole du XVIe et XVIIe siècles, nous remarquons que peu de chroniqueurs
espagnols se sont penchés sur la question de la minorité morisque, principa-
lement celle qui est liée au soulèvement des morisques de Grenade de 1568-
1570 (Marmol Carvajal :1600 ; Pérez de Hita :1619, Hurtado de Mendoza :1627)
et á leur expulsion de 1609 à1614, en considérant la décision prise par le roi
Philippe III, comme une mesure politique et religieuse juste (Aznar : 1612 ;
Fonseca :1612 ;Marcos :1613 ; Bleda :1618). Il ya seulement J. Ripol (1613)
qui s´est détaché plus ou moins de premier groupe d´écrivains pour critiquer
le processus d´évangélisation, du dépeuplement et de la crise économique
que causa l´expulsion.
Il y a lieu de signaler aussi que presque toute la littérature du siècle d´or
de l´époque était aussi en faveur des mesures prises par les autorités espagnoles.
Le seul écrivain qui avait pour eux des sentiments humanitaires, c´est Calderon
de la Barca, dans « Amar después de la muerte » . On pourrait ajouter M. de
Cervantès dans sa 2ième partie de Don Quichotte (2009 :Chap.IV) où il signale
les conséquences inhumaines de l´expulsion des morisques, en ébauchant, à
travers ses personnages, l´image d´une autre Espagne dans laquelle il serait
possible à un vieux chrétien — Sancho Panza — de dialoguer en paix avec
son voisin morisque — Ricote —.
Au XVIIIe siècle et la 1ière moitié du XIXe siècle, le thème sur les morisques
a connu une longue période de silence. A peine si Campomanes (1774) faisait
allusion dans ses écrits á cette minorité marginalisée.
Durant la 2ième moitié du XIXe siècle, il revient sur le tapis mais sans sus-
citer grand enthousiasme. Pour les historiens conservateurs (Muñoz y Gavi-
ria :1861 ; Dánvila y Collado : 1889; Menéndez y Pelayo :1882), l´expulsion est
justifiée du point de vue politique et religieux, parce qu´ils considéraient la
religion catholique comme un élément constitutif de la nation espagnole. La
question des morisques est posée par eux comme un affrontement racial et
cela depuis 711 jusqu`á 1609. Par contre les historiens libéraux de la même
période (Janer : 1987 ; Boronat :1901 ; Boix :1867) ou l´américain Henry C.
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